Lucrèce Borgia · Sortir de l'obscurité · Përparim Kabo

Lucrèce Borgia · Sortir de l'obscurité · Përparim Kabo
Quand Victor Hugo a écrit le drame Lucrèce Borgia en 1833, la France n’était plus la République qu’elle avait été alors.
Critique
Perparim Kabo
01 Juin 2017
Gazeta Shqiptare
Langue: Albanais
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Sortir de l’obscurité, mais à quel prix ? Lucrèce Borgia !
Përparim KABO

Quand Victor Hugo a écrit le drame Lucrèce Borgia en 1833, la France n’était plus la République qu’elle avait été alors. Dans l'histoire de France, la Première République, officiellement la République française, a été fondée le 21 Septembre 1792 lors de la Révolution française. La première République s’est étendue jusqu’à la déclaration du premier Empire en 1804 sous Napoléon. Alors que la deuxième République Française correspond au gouvernement républicain français dans la courte période de la Révolution de 1848 au coup d'Etat en 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte, ce qui marqua le début du Second Empire.

La devise de la Première République Liberté, Egalité, Fraternité a alors été officiellement adoptée. La Deuxième République fut le témoin de tensions entre "a République démocratique et sociale" et une forme de libéralisme républicain, qui a explosé lors du soulèvement des Journées de Juin 1848. Exactement à la période qui précède la Deuxième République et pendant laquelle retentissent les échos de la Première République, Victor Hugo, le réformateur du théâtre, a secoué la Scène. Avec Marion de Lorme, à l'origine intitulé Un Duel sous Richelieu, il met en danger la tragédie classique, parce il inclut et imagine l’esprit du siècle, qui se trouve confronté à une période où le temps nous raconte qu’elle aurait déjà dû s’achever, alors que la réalité dit le contraire, c’est pour cette raison que la lumière républicaine de la liberté n’a préservé qu’un rayon, elle doit donc continuer son chemin et combattre. On identifie les personnages historiques comme des outils théâtraux qui font allusion à Charles X, alors en vigueur. Et la pièce est interdite.

Le roi et ses représentants attirent et courtisent l'auteur, dont les paiements sont devenus des salaires, jusqu’à un poste dans l'administration. L’autre drame Hernani est à nouveau d’inspiration hugolienne. Le roi est démystifié passant d’un être divin à un terrien et, plus fort encore, du roi au commun des mortels, le montrant ainsi tel qu’il est vraiment, avec les défauts et les faiblesses que peut porter tout à chacun. Une langue si puissante provoqua beaucoup de remous. La pièce fut jouée le 25 Février 1830. Il faut garder à l'esprit que dans l'Histoire de France, les événements de Juillet 1830 sont un point culminant.

Le 16 Mars 1831, le roman Notre Dame de Paris est publié en deux volumes. Dans ce roman également, tout rappelle la période du Moyen Âge, le souffle de la providence face à l’immoralité humaine, on y trouve l’autoglorification des puissances et la simplicité de l’homme ordinaire qui puise sa richesse simplement dans l’amour de l’être humain. L'auteur élève dans son roman le culte du monumental et l'importance des villes. En 1832, le 22 Novembre exactement, une autre pièce de Victor Hugo, au titre très provocateur Le Roi s’amuse, est mise en scène, elle est jouée au Théâtre de la Comédie Française. Ce moment où le larbin vocifère des obscénités contre les nobles, créant une grande inquiétude, ressemble à une provocation immorale. On comprend d’après le personnage de François 1er, on peut le lire aisément, que ce sont les Orléanais qui dirigent la France d’alors.

Des persécutions contre la pièce sont amorcées. Victor Hugo lance des poursuites contre le théâtre qui bloque la pièce. Au tribunal, ses mots sont lapidaires. Je cite : « ... Aujourd’hui on me fait prendre ma liberté de poète par un censeur, demain on me fera prendre ma liberté de citoyen par un gendarme ; aujourd’hui on me bannit du théâtre, demain on me bannira du pays ; aujourd’hui on me bâillonne, demain on me déportera ; aujourd’hui l’état de siège est dans la littérature, demain il sera dans la cité... »

En plein cœur de l’humidité et des flots de ces évènements, le 2 février 1833, la pièce de Victor Hugo Lucrèce Borgia est lue pour la première fois devant les artistes du Théâtre de la Porte Saint-Martin. La situation n’était pas idéale. Victor Hugo ne s'arrête pas là. Avec une lettre envoyée au comte d'Argout, à l'époque ministre de l'Intérieur, il l’informe qu’il renonce au paiement des redevances de deux-mille francs dont il jouissait depuis l’année 1823. Désormais, il ne vit que des revenus que lui assurent ses droits d’auteur. Deux évènements sont en lien avec la pièce Lucrèce Borgia, sa rencontre avec Juliette Gauvin, dont Victor Hugo tombe amoureux, et elle sera l’amour de sa vie puisque cela durera près d’un demi-siècle. Et le fait que, devant le succès que la presse définit avec ces mots, « Ce n’était plus un succès, c’était une véritable folie », le directeur Charles Jean Harel prend la décision de bloquer la représentation de la pièce. Cette attitude, Victor Hugo y répond en le provocant en duel et en l’informant que ses témoins seront présents. Charles Jean Harel renonce et autorise la représentation sur scène de Lucrèce Borgia. L’amie de Charles Jean Harel, Mademoiselle George, incarne Lucrèce Borgia. Elle est la première actrice de l'histoire à jouer ce rôle, alors que le rôle de Gennaro est joué pour la première fois par l'acteur Frédéric Lemaître.

L’auteur est osé car, bien que le sujet se fût inspiré du Moyen Âge dans l’Italie divisée en principautés, les échos étaient plus profonds, s’exerçant et laissant comprendre que de sortir de l'obscurité vers la lumière n’est pas chose aisée. Il semble que ce genre de transition est une subversion maudite menant à la tragédie. Si Victor Hugo, ce réformateur du théâtre du classicisme en romantisme, avait été en vie, même en l’état d’un spectre âgé de 215 ans ( Il les aurait eus le 26 février de cette année), il aurait pris sur lui et serait rentré dans la salle du Théâtre National de Tirana, pour voir ce qu'il avait écrit alors en 1833 Lucrèce Borgia ; jouée par une troupe professionnelle d’Albanais au sang pélasge et avec le jeu dramatique propre aux Balkans, mais également aux habitants de la Calabre, façonnés par l'histoire et ses folies, il pousserait alors un profond soupir sans équivoque. Emu, il laisserait s’échapper un souffle d’air céleste, et dirait : "Lucrèce, pardonne-moi de t’avoir tuée, mais si tu devais vivre encore, l'histoire serait incroyable. Ces temps obscurs, qu’on nommait le Moyen Âge, s’emparaient de la vie à la fois au poison, à la fois au couteau."

On avait l’impression que ce spectre à l’âge hugolien, fait à moitié de souvenirs et à moitié de réminiscence éthérique, avec le menton allongé jusqu’au sol pour arrêter le Gennaro albanais, applaudissait et disait: « Mon fils, je suis désolé que dans le cadre de ce drame tragique, tu doives boire le poison, alors même que tu n’avais qu’un idéal dans la vie, celui de rencontrer une mère blanche, angélique, pure et parfaite, immaculée et inspirante, celui de rencontrer la lumière qui te manquait et ne plus te présenter comme un homme sans racines, de parents inconnus. "Gennaro, moi, Victor Hugo, je sais ce que j'ai perdu avec ma malheureuse mère. J’ai enterré trois frères sans la présence de notre père Léopold, un tyran. Mais je suis fier de toi, Gennaro, comme un soldat jouant du cimeterre, vrai, loyal, et un héros de tous les jours de la dignité. Néanmoins, tu mourras comme un coupable innocenté de la dignité faisant défaut à une société submergée par la honte".

Lors de la représentation au Théâtre National, Lucrèce Borgia s’achevait et les acteurs saluaient les spectateurs qui n’avaient de cesse d’applaudir avec frénésie après cette longue pause où chacun avait retenu sa respiration, moi et le spectre de Victor Hugo nous approchions au cœur et dans la sève de l’émotion. " Voici un ange, lui ai-je dit, Regarde de plus près la Lucrèce Borgia albanaise qui t’a ébahi ce soir. Elle s’appelle Luiza Xhuvani… " Le spectre hugolien s’éloigna de moi, monta sur scène et s’arrêta devant elle, la prit dans ses bras et lui embrassa les mains… Oui, la lumière de l'âme de Victor Hugo était dans le théâtre, fascinée par la représentation : "Je suis devenu comme ce qu’a dit Luiza : j’ai 215 ans, pendant 83 années, j’ai été un homme avec des passions et des idéaux, avec une vie belle et moins belle, avec de l’amour et de la douleur, avec la liberté et l'isolement, mais toujours avec dignité. Le reste de ma vie est éthérique et spirituelle." Lorsque Lucrèce Borgia est arrivée sur les planches pour la première fois, je connaissais Juliette, mon amour éternel, c’est elle qui m'a inspiré, et elle m’acceptait tel que j’étais, un homme qui jamais ne s’arrête. J'avais seulement trente ans quand je l'ai rencontrée. Lucrèce a été mise en scène de nombreuses fois de mon vivant et au-delà, mais celle-là me semble différente, elle me semble très réelle, j’ignore ce qu’elle avait de plus.

- Votre attitude avec votre garçon Gennaro était un miracle à lui-seule de la communication. La divulgation des sentiments était déferlante, si secrète et si ouverte, si douce et si clémente, mais aussi repentante et désespérée, si fière et si répressive. Luiza, vous avez l’air d’une âme en peine et comme telle, vous regardez le monde au-delà du mur des larmes qui vous viennent du plus profond de vous-même. Une femme qui souffre est un univers très évocateur. Une femme actrice qui souffre est l'univers qui déborde de tout son art. Si tu m’avais dit que je rencontrerais le sommet de l’interprétation au travers d’une Albanaise, et non plus de mon vivant, mais dans mon parcours en tant que spectre ou mémoire, prenez-le comme vous voulez. Aujourd'hui, vous me ressuscitez dans l’art et dans l’inspiration. Alors que les spectateurs assistaient aux applaudissements, la lumière hugolienne était demeurée suspendue, elle entrait et sortait comme la respiration intense de toute la foule dans la salle. Victor Hugo était avec nous et nous étions avec lui. Ce sont Luiza Xhuvani, Artan Imami, Vasjan Lami, Xhino Musollari, Indrit Çobani, Lulzim Zeqja, Genti Deçka, Gent Hazizi, et Marcel Hazizi, qui ont rendue possible cette rencontre. Pour la première fois, le génie universel, le maître du théâtre, de la poésie et du roman est monté également sur la scène du Théâtre National. Très tard, mais avec beaucoup de dignité. De telles expériences sont une chance et un défi, une preuve et une capacité, un danger et un triomphe.

Lucrèce Borgia au Théâtre National à Tirana arrive sur scène dans un décor merveilleusement étudié et construit. De hautes parois et un seul axe au centre sous la forme d’un serpent aux courbes ascétiques. Les lumières sont tamisées. Les sons et la musique offrent une atmosphère merveilleuse dans un monde qui s’attend à être surpris par le mystère. Tout semble enfermé dans un immense cercueil. C’était un temps qui devait s’achever, une période qui déclinait dans l’horizon rouge sang, un système qu’avaient construit le pouvoir et la cruauté et dans lequel on ne pouvait plus continuer. L’intrigue est dans le décor et le psaume du démasquage, ce décor à la fin de la pièce avec les mêmes personnages se transforme en un lieu de châtiment. Cette vie et ce monde nous suffisent à nous rencontrer et tout essayer.

Cette femme était-elle si immorale, ou bien l’était immorale la société elle-même ? L'histoire est le corps passionné d'une femme, ou la passion du pouvoir qui devrait dormir avec son corps ? Le pouvoir rabaisse les valeurs, favorise tout ce qui outrepasse la morale vertueuse et amène l'homme dans une telle controverse qu’il lui est impossible de séparer l’être du corps, le sort de l’impuissance, le pouvoir des sentiments, la liberté individuelle de l’être du devoir d’être aliéné. Cette philosophie est ancrée si profondément dans le jeu des acteurs, dans leurs comportements d’allégation et de refus, dans les comportements individuels et les chorales accusatrices. Ils accusent, mais de quel droit, sur quels principes, quand cette accusation, cette femme couverte d'un voile et avec un nom différent qu’on aime au lit, et dont le « non » terrifie. On garde ce lit des femmes dans toutes les histoires et dans tous les engagements. L'homme et l'humanité avaient besoin de cet éclaircissement, de ce genre d'éveil, en avaient besoin également les héros, et les victimes, et les témoins.

Le metteur en scène français Éric Vigner avait construit avec un style impressionnant une dramaturgie palpitante, tout en maintenant un équilibre entre tous les points essentiels de l’intrigue, les actions scéniques, la restitution des mots et le panel des émotions, créés par des courants contraires très puissants. Tout ressemble à un ciel d'orage qui attend la tempête. En mettant en scène Lucrèce Borgia, il a amené le temps de manière organique, construit l'atmosphère, exprimé naturellement les courants mentaux et l'homme moyenâgeux en ne jouant qu’avec un outil de communication, le théâtre de la parole, comme on le jouait dans la tragédie antique d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Le théâtre de la parole autosuffisant, sans musique ni festivités, c’est comme jouer sur le fil du rasoir, car seule la parole, lorsqu'elle est chargée de toute sa magie aux multiples facettes, remplit sa mission. Sans cela, elle pourrait se décomposer. Ne restant que les mots, cela peut paraître comme une ravine béante. Retranscrite avec l’émotion qu’elle crée alors qu’elle tisse le récit, les histoires, les expériences et les douleurs, la parole incarne dans ces circonstances la vie, le destin de l’être, c’est la magie dévorante.

Lucrèce Borgia par la troupe du Théâtre National était teintée de gris, parfois opaque comme sous un ciel chargé ou lourd. La construction du décor vraiment minimaliste donnait une chance d’utiliser la parole comme un outil de communication, d’expression des sentiments, des émotions, de méditation de soi et autour de soi, de consolation, de souffrance, tragique et vindicative. Luiza Xhuvani dans le rôle de Lucrèce est une consécration (et cela sans exagérer) depuis la création du théâtre dans les territoires Arbereshs. Un tel rôle aussi complexe que ce personnage, aussi impliqué dans la dynamique impulsive humaine, autant à contre-courant dans l’intrigue et l’émotion, aussi secrète qu’ouverte à communiquer, aussi vindicative que suppliante dans son comportement, aussi menteuse que sincère dans sa fiabilité, autant femme méchante que mère manquée face à sa descendance avec tous les sentiments d'humilité, si pleine de charme et tout aussi rancunière dans son attitude face au monde masculin, si délicate dans ses sentiments les plus profonds et si froide lorsqu’elle prend la vie de ses adversaires ouverts et cachés, très au-delà de sa féminité en lien avec le pouvoir et aussi manipulatrice jusque dans l’inceste quand son corps et sa luxure étaient violemment attaqués, jusqu’à ses plus proches cousins, ses propres frères.

En la regardant, cela m’a rappelée Lady Macbeth quand elle dit : « Je veux changer de sexe ; toute cette cruauté ne convient pas à une femme. » Comment une actrice peut-elle conserver toute cette gamme d'émotions et d'expériences de la vie ?! Ce genre de malédiction dramatique, mentale, émotionnelle et interprétative, est créé pour les acteurs de haut calibre, ceux qui, s’ils réalisent complètement cet exercice, sont des artistes uniques. S’ils n’y parvenaient pas, ils feraient mieux de penser à deux fois avant de se lancer dans cette entreprise. Luiza Xhuvani a réussi à construire une Lucrèce Borgia organique. Son discours de verre transmet un texte brillant avec un phrasé froid presque glacial, pur comme les eaux de montagne, bouillonnant comme mot-sens-intonation et des digressions ondulantes internes et externes, qui dévoilent simultanément trois mondes, celui de la vérité, celui du mensonge, et celui des êtres désirés, comme un destin qui n’est pas, mais que l’on désirait être. Ce monde visible et souterrain, comment doit-il être perçu avec des masques et à travers eux ; ou sans eux, et dans une réalité où tout le monde sait, et doit tout savoir ? La communication dans ces tranchées est un tourbillon émotionnel que Louisa Xhuvani maîtrise à la perfection. Le flux d'émotions connaît la douleur et la tendresse, l’intrigue et la vengeance, la demande et l'ordre, le rejet et l'acceptation de la fatalité. Le Moyen Âge, avec tout ce qu’il a d’unique en tant que période sombre dans le destin et le pouvoir d'une femme !

La pièce débute avec des masques et s’achève sans eux. Le metteur en scène, l’air de rien, tente de nous attirer de l’obscurité vers la lumière, du Moyen Âge vers la liberté, de la monarchie vers la république, avec une empathie qui a pour credo la vie, mais évidemment une vie faite de dignité. Ce type de lumière n'est pas une augmentation de l'intensité de l’éclairage, ce n'est pas un quelconque matériel qui ne vaut rien... La lumière qui s’approche est faible, interne à la raison qui expliquerait la fatalité. Elle veut que tout le monde partout comprenne ce qui se passe lors d’une veillée mortuaire, à quel stade s’effondre la société, pourquoi la mort est si proche et l’unique chemin de ce seul système. La régie avec tous les outils extrêmement limités nous convainc que l'obscurité signifie qu’on ne peut le payer que de façon tragique.

Gennaro sait que la mère apporte la vie, contre la volonté de sa mère, il imagine sa mère, il ne jure que pour son honneur, d’autant que pour lui, le ciel et sa mère sont presque identiques. Sa mère le suit, il suit son mirage, sa mère le suit partout prête à le défendre, et lui est prêt à défendre de sa vie sa sublime silhouette. Elle le garde à ses côtés, et lui l’ignore, car cette femme est la tristement célèbre Lucrèce Borgia, terrible, sanglante, femme au lit ouvert à tous, jusqu’à ses frères de sang, elle est donc l’héroïne honteuse de l’inceste. Eh, la mère imaginaire de Gennaro, elle, ne peut à ses yeux pas être de la sorte. C’est la conclusion de Victor Hugo dans la dramaturgie du drame : Lucrèce pouvait protéger son fils tout simplement en le traitant comme un amant, et ce fils qui ignorait qu'elle était sa mère, et même si elle était la terrible femme Lucrèce Borgia, il s’abandonnait à la passion masculine, mais à une condition seulement… "Je t’aime, lui-dit-il, mais tu n’es pas mon grand amour, parce que mon grand amour est celui que j’éprouve pour ma mère" ... Cette idée est fondamentale.

En tant qu’homme de la luxure, il nous faut des femmes qui nous racontent pourquoi nous sommes les héros des passions au pluriel. En tant que personne, nous sommes les enfants de nos mères et au-dessus de cela, il n’y a rien. Là-bas, dans sa conception à nous mettre au monde, c’est un rêve et une mission sublime et sans pareille. Tous les hommes sont des Adam, mais tous les Adam ne sont pas des rois. Par conséquent, monarques ou mendiants, soldats de l’épée ou espions, serviteurs ou aventuriers, nous sommes menés à la vie comme tous d’une femme-mère. Face à cela, nous tombons tous genoux à terre et ne pouvons accepter que l’un d’entre nous salisse son image. Mais les grands antagonismes dans ce chef-d'œuvre de la dramaturgie sont comme les mouvements tectoniques des profondeurs de la terre qui se ressentent jusqu'aux sommets des plus hautes montagnes. Ignorant que Lucrèce Borgia est justement sa mère, et que son père est celui qui avait été le frère de sa mère, il ne cessait de l’insulter, de l’humilier, de la rouler dans la boue, sans crainte, jusqu’à risquer sa vie quand ses amis lui racontent que cette belle femme qu’il a séduite est justement cette femme, la terrible Lucrèce Borgia. L'inceste sexuelle n’est pas montré concrètement sur scène, mais son écho dissimulé scelle le sort de l’intrigue.

Le Moyen Âge connaissait cette déviation sexuelle presque comme une preuve que le pouvoir se prenait à n’importe quel prix et qu’on ne le partageait pas. Même le Moyen Âge connaissait l'inceste anthropologique comme une façon d’organiser et d’orienter la société, mais la mise en scène est réduite à un rapport seulement. Les enfants de l'inceste comme Gennaro sont-ils prêts à faire ce changement, même au prix du drame, et tuer celle qui leur a donné la vie ? Le Moyen Âge, avec l'humiliation au nom de la providence, avait dégénéré en un pouvoir papal et une vie religieuse dont l’éthique n’était qu’une façade. De l'intérieur, tout était différent. Comme l’a dit Lucrèce à son fils Gennaro : « Tout poison vient du Vatican, mais l’antidote également. » Pour sortir de la transe médiévale, de l'obscurité et de l'occultisme de cette époque, il faut en payer le prix avec des drames, des intrigues, des contre-courants et des aventures. Porter à la scène Lucrèce Borgia, même après autant d’années, n’est pas seulement une affaire de valeur esthétique. Un tel argument serait réducteur.

Indépendamment du fait que nous sommes dans la période contemporaine, en nous sont enfouies toutes les périodes et les époques avec les folies et les gages qu’elles créent. Les preuves se manifestent constamment. Sans en comprendre la raison, le passé revient et l’humanité a le devoir de faire face à nouveau à cela sous le poids du destin. Nous sommes toujours dans un grand dilemme, sur les paroles de Hugo « Nous vivons dans une époque où les gens créent tellement d'actes horribles. », on ne peut rien abroger tant que le monde appartient à l’homme et que l'homme est otage de ses vices jusqu’à la vengeance par la mort. Cela ressemble à une malédiction qui ne cesse jamais, l'homme, même au 21ème siècle, s’encombre à créer et à se nourrir du tragique, par la vengeance et la haine, même à l’intérieur de cet habitat qu’il appelle avec bienveillance la fraternité humaine. Contre une telle réalité, nous devons lutter pour nous en loigner un peu plus chaque jour.

Traductrice/Përkthyese : Eloïse Le Petit