LES INROCKUPTIBLES
12 Décembre 2014 · Hugues Le Tanneur
Éric Vigner conjugue la légende de Tristan et Iseult dans une version personnelle où temps et espace se télescopent.
Il y a cette épée immense. Seul un géant pourrait la manipuler. Et puis il y a ce cheveu d'or très long tombé du ciel, ou plutôt du bec d'une hirondelle. Ainsi se noue la légende. L'épée avec laquelle Tristan tue le Morholt. Le cheveu blond d'Yseult apporté tel un présage dans le bec d'un oiseau. Sur le plateau, une vie profuse émane de ces objets dont le rayonnement agit en profondeur.
De Tristan et Iseult, récit légendaire aux multiples variantes, Éric Vigner reprend aujourd'hui la trame pour en livrer une version très personnelle. C'est d'ailleurs la première fois que ce metteur en scène, à la tête depuis dix-neuf ans du Théâtre de Lorient, monte un texte écrit de sa main.
Son Tristan navigue entre passé et présent dans les eaux remuantes de la légende. Rien d'étonnant donc si cette plongée dans l'imaginaire collectif se fait parfois à travers l'écran d'un iPhone. La force poétique du mythe est comparable à l'attraction d'un aimant. Tristan est plusieurs. Il rayonne à travers les âges et parle beaucoup de notre époque. Au début du spectacle, son corps rejeté par la mer gît sur la grève. Le texte régorge d'allusions - aux commandos de marines basés à Lorient, à Othello, à Marguerite Duras, à Maeterlinck, à l'Apocalypse de Jean, à la Bretagne, aux réfugiés... Façon de dire qu'Éric Vigner a mis beaucoup de lui-même dans ce spectacle très attachant. Tristan est un "enfant de la mort". Comme Ulysse, il voyage dans le temps et l'espace. Condamné à errer, il ne voit aucune récompense sanctionner ses exploits.
A lui le sale boulot : tuer le Morholt, ramener Iseult d'Irlande pour qu'elle épouse le roi Marc. Le philtre bu par erreur sur le bateau du retour jette Tristan dans les bras de la belle et le renvoie définitivement en marge de la société car leur amour est sans espoir. Dans une ambiance de music-hall, Iseult lit au micro sa lettre de suicidée. L'esthétique du spectacle mêle ainsi les époques, proposant une fête de l'imaginaire volontairement décalée, où s'engouffre comme par bourrasques la réalité brutale du monde contemporain.