Sud Ouest
27 septembre 2012 · Jean-Luc Éluard
Les jours d'après
L'Homme qui tombe et Guantanamo : Deux pièces parlent de l'après-11 septembre. Chacune à sa manière. Et avec deux démarches différentes.
Guantanamo, pièce écrite à partir des interrogatoires menés par l'armée américaine dans le camp de détention des "combattants irréguliers".
"Ce n'est pas une pièce militante, c'est une pièce politique, incontestablement." Éric Vigner a mis en scène Guantanamo qu'il présente la même semaine que La Place royale de Corneille . Et en parallèle, le collectif Crypsum s'empare de L'Homme qui tombe, de Don de Lillo, pour en faire un objet théâtral.
Des points communs, il en existe entre Guantanamo et L'Homme qui tombe. D'abord ce ne sont pas des pièces de théâtre à l'origine. Et surtout, elles font un état des lieux du monde et des hommes de l'après-11 septembre pour les porter sur scène. En ce sens, elles sont d'une modernité de faits mais ressassent finalement des problématiques anciennes.
"Ni bons, ni méchants"
Pour Guantanamo, Éric Vigner souligne que "les gens y perdent leur identité mais il demeure des petits bouts de choses qui restent de l'humanité." Écrite par Frank Smith, de l'atelier de création radiophonique de France Culture, Guantanamo s'inspire des interrogatoires menés par l'armée américaine dans la prison et rendus publics en 2006.
"Ce sont cinq destins en filigrane, celui de gens qui ont dû quitter leur pays pour faire vivre leur famille. Et l'on découvre qu'il n'y a ni bons ni méchants. Et, alors que l'on parle toujours du terrorisme, on se rend compte que l'on ne sait finalement rien de ce qu'est le terrorisme." Un peu comme L'Amante anglaise de Marguerite Duras qui n'était pas écrite pour le théâtre à l'origine, la pièce s'accommode très bien de la scène puisque "la rhétorique de l'interrogatoire" est éminemment théâtrale.
L'homme qui tombe, par le collectif Crypsum, est plus distancié : s'il parle des attentats du 11 septembre, c'est avant tout une base pour faire le point sur l'homme occidental tel qu'il est devenu, avec sa fragilité toujours dissimulée derrière l'arrogance que donne le pouvoir de l'argent.
Pour Éric Vigner, "le théâtre n'a pas souvent l'occasion d'être lié à l'actualité". Mais il y a d'autres manières de le rendre actuel. C'est le sens de son projet d'Académie, avec lequel il présente deux œuvres cette semaine. Initiée il y a un an et demi au Centre dramatique national de Lorient, elle regroupe sept jeunes acteurs d'origine étrangère (allemande, roumaine, malienne, sud-coréenne, nord-américaine, marocaine, belge et israélienne) rassemblés pour une formation de trois ans sous sa houlette. "À un moment, je me suis dit que c'était le moment de transmettre. Et je trouvais que la scène théâtrale n'était pas assez représentative de ce qu'est la jeunesse française."
Ils monteront trois textes en trois ans, à commencer par La Place Royale présentée au TnBA. Guantanamo est leur deuxième création en attendant la dernière qui sera présentée cet été en Avignon. Une trilogie où passe en arrière-fond "la question de la liberté." Encore une chose remise en question dans le monde d'après le 11 septembre.