Théâtral
Novembre 2011 · Propos recueillis par Chantal Boiron
ÉRIC VIGNER: Chef de troupe
Il y a tout juste un an, le metteur en scène Éric Vigner, directeur du CDDB - Théâtre de Lorient depuis 1996, créait "L'Académie", réunissant sept jeunes acteurs, originaires de différents pays qui vont créer ensemble trois spectacles en trois ans.
Éric Vigner : "J'ai eu la chance de participer à l'Académie Expérimentale, fondée par Michelle Kokosowski. Et la chance de rencontrer des maîtres comme Michel Bouquet, des metteurs en scène comme Antoine Vitez qui mettait l'école au centre de l'activité théâtrale. Depuis, j'ai toujours eu un lien étroit à la transmission. Au CDN de Lorient, notre travail a toujours été en rapport avec l'avenir avec, par exemple, des premières mises en scène de gens qui étaient au début de la construction d'une œuvre. L'idée de partage est liée à l'activité de la maison. En tant qu'artiste, l'expérience à l'étranger reste pour moi fondamentale, j'ai monté notamment Le Bourgeois gentilhomme en coréen à Séoul et Dans la Solitude des champs de coton en américain à Atlanta. En méme temps, j'ai découvert qu'il y avait une universalité dans la pratique théâtrale, qu'il existe une sorte de vocabulaire, de langage commun au théâtre, par delà les langues et les cultures. Or, par rapport à toutes ces expériences, il me semblait que les scènes françaises n'étaient pas assez représentatives de la jeunesse. Voilà pourquoi l'Académie est une expérience utopique où l'on va réunir pendant trois ans de jeunes acteurs français issus de l'étranger ou étrangers. Et, l'Académie sera traversée de gens comme le philosophe Jean-Claude Monod ou Béatrice Massin qui propose un training sur le baroque.
Il y a eu plusieurs étapes au bout desquelles nous en avons gardé sept. Ils ont entre 20 et 30 ans et viennent d'un peu partout : Mali, Maroc, Roumanie, Corée du Sud, Allemagne, Flandre et Israel. Ils ne sortent pas de conservatoires nationaux mais ont plutôt des parcours atypiques.
Dans la première, La Place Royale de Corneille, des jeunes sont confrontés à la réalité et doivent se positionner par rapport à l'avenir. Ce sont des questions que se posent ces jeunes acteurs qui entrent dans le monde du théâtre. Je pouvais aussi leur transmettre ma passion pour ce théâtre-là, pour la langue classique qui, curieusement, est plus étrangère pour les Français d'aujourd'hui que pour les étrangers.
On va créer Guantanamo de Frank Smith au CDN d'Orléans, chez Arthur Nauciziel. Frank Smith s'empare de plusieurs contre-interrogatoires de prisonniers accusés de terrorisme par les Américains. Il n'y a pas de jugement. Il n'y a que des questions, toujours les mêmes, qu'on leur pose de différentes façons, et des réponses qui ne donnent aucune réponse. Frank Smith travaille sur l'absurdité de ce système. Ce qui m'a intéressé, c'était partir de cette matière textuelle pour trouver différentes possibilités de faire du théâtre. Quant à La Faculté, c'est une sorte de tragédie contemporaine pour 7, 8, 9 acteurs que Christophe Honoré a écrite pour l'Académie avant même qu'elle n'existe. Ainsi, on a trois écritures qui dialoguent ensemble.
Une Académie, ce n'est pas une troupe ni une école. Il n'y a pas que des maîtres et des apprentis. Je pense qu'il existe une troisième voie de la transmission. Ces jeunes acteurs sont responsables et autonomes. Ce n'est pas non plus un laboratoire. Le laboratoire suppose qu'il n'y ait pas de public. Or pour moi, le théâtre doit se développer dans le rapport au public le processus est fondamental. L'Académie, pour les Lorientais, c'est un peu comme une équipe de foot."