Les Echos · 6 octobre 2011 · LA PLACE ROYALE

Les Echos · 6 octobre 2011 · LA PLACE ROYALE
Toute la jeunesse du monde est résumée par cette académie métissée, encore perfectible mais déjà rayonnante.
Presse nationale
Critique
Philippe Chevilley
06 Oct 2011
Les Échos
Langue: Français
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Les Echos

6 octobre 2011 · PHILIPPE CHEVILLEY

Le baroque en multicolore

Cette académie française est une académie du monde : sept jeunes (apprentis) comédiens de 20 à 32 ans, originaires du Mali, d'Israël, du Maroc, de Corée du Sud, de Roumanie, d'Allemagne et de Belgique ont été réunis à l'automne 2010 par Eric Vigner, patron du Centre dramatique national de Lorient, pour entreprendre une aventure théâtrale au long cours. Repérés lors de master class ou d'apparitions au cinéma, ils ont suivi un an de stage intensif, émaillé de rencontres et d'expérimentations, avant de se donner en "spectacle" pour la première fois lundi soir dans La Place Royale, comédie de jeunesse de Corneille. Dans la foulée, ils vont devoir se colleter à deux pièces contemporaines : Guantanamo de Frank Smith et  Faculté de Christophe Honoré. À la clef : une tournée de six mois dans toute la France. Babel on the road...

Discret jeu de glaces

Éric Vigner peut souffler... Sa petite troupe a plutôt bien réussi son examen de passage sur un texte périlleux - où il fallait non seulement maîtriser la langue du XVIIe siècle et l'alexandrin, mais aussi la danse baroque (chorégraphiée par Béatrice Massin). Le metteur en scène a su jouer de leurs forces et de leurs faiblesses. Les accents les plus prononcés créent soit une étrangeté (HyunJoo Lee, dans le rôle de Phylis), soit un léger décalage comique de bon aloi (Vlad Chirita, qui incarne Doraste, l'amoureux éconduit). Parfaitement à l'aise avec le français classique, Eye Haidara (Angélique) et Isaïe Sultan (Alidor) forment un duo cornélien de choc, remettant les amours baroques au goût du jour. Dans des rôles plus courts ou muets, les autres comédiens Nico Rogner, Tommy Milliot et Lahcen Elmazouzi affirment joliment leur présence. éric Vigner a "placé" tout ce petit monde dans un écrin poétique intemporel. Sur le plateau nu, quelques cloisons de verre amovibles créent un discret jeu de glaces - fenêtres sur cour (royale) ou miroir narcissique des jeux de l'amour. Des tapis de couleurs aux formes géométriques enchantent la scène de bal. La Place Royale est nue, mais brille de ses silhouettes. Le metteur en scène a tout misé sur les costumes et les masques - chatoiement de couleurs vives mixant époques et fantasmes, robes de princesse et collants de toréador, vestiaire baroque et haute couture contemporaine.

L'histoire tragi-comique de ce jeune homme qui sacrifie son amour pour sa liberté, avec une bonne dose de perversité, devient une fable universelle sur la matière dangereusement inflammable des jeunes amours. Les adultes/parents sont exclus de ce bal égotique et violent qui pousse un cœur pur au couvent. Toute la jeunesse du monde est résumée par cette académie métissée, encore perfectible mais déjà rayonnante, qui préfigure on l'espère le théâtre français de demain.