La Libre Belgique
10 janvier 2001 · NICOLAS BLANMONT
Un happy end pour Didon
Christophe Rousset exhume une vision vénitienne de la chute de Troie
Depuis La Calisto donnée par René Jacobs à la Monnaie, le public belge sait l'importance de Francesco Cavalli (1602-1676), élève de Monteverdi et éminent représentant avec lui de l'opéra baroque vénitien.
Comme notre compatriote, Christophe Rousset s'intéresse à ce répertoire, et lui aussi est un infatigable découvreur qui aime à sortir des sentiers battus: il propose actuellement à Lausanne La Didone, un Cavalli des débuts, créé en 1640 sur un livret de Francesco Busenello, le poète qui signa aussi le livret du Couronnement de Poppée de Monteverdi (que Rousset reprendra d'ailleurs prochainement à l'Opéra d'Amsterdam).
Enéide
Dans cet opéra librement inspiré de L'Enéide, on assiste successivement à la chute de Troie, au périple d'Enée sur les mers, à sa rencontre avec Didon, et à son départ pour Rome.
Mais, ici, la reine de Carthage survit à cet abandon et trouve le bonheur avec larbas, roi des Gétules: dans la tradition vénitienne en effet, le rire n'est jamais très loin des larmes.
Et, explique Rousset, Venise se relevait alors à peine d'une épidémie de peste à ce point tragique qu'il y avait partout une volonté de vie et d'espérance, deux mots sur lesquels se termine d'ailleurs l'oeuvre. Didon n'est d'ailleurs pas ici une figure aussi tragique que celle dépeinte par Purcell ou Berlioz et, évoquant la séduction d'Enée, sa soeur Anne n'hésite pas à lui recommander de lui ouvrir son jardin secret.
D'une partition originale qui fait plus de quatre heures, Rousset a laissé quelque deux heures trente de musique, justifiant les coupures tant par la nécessité d'adapter l'oeuvre aux proportions qu'accepte un public contemporain que et cette raison semble la plus convaincante par la volonté de recentrer l'histoire autour de l'essentiel et de rejeter ce qui interfère sur sa lisibilité: subsiste effectivement une trame assez claire, dont les personnages sont dotés d'une réelle épaisseur et qui émeut par sa crédibilité.
Mise en scène
La mise en scène d'Éric Vigner réussit d'ailleurs mieux à restituer la dimension familiale de l'oeuvre et ses scènes intimistes que celles de nature épique: alors que ces dernières sont souvent hiératiques ou artificiellement animées, la description sensuelle de l'amour et des corps est porteuse de réelles émotions.
Dédoublements
Il faut dire que Rousset et Vigner ont composé une distribution où les chanteurs ont non seulement l'âge et la séduction des rôles qui leur sont confiés, mais où le jeu des dédoublements prend aussi une dimension très éclairante.
L'excellente Juanita Lascarro, par exemple, campe tour à tour Creuse, épouse troyenne d'Enée, et Didon, tandis que la belle mezzo hongroise Katalin Varkonyi chante à la fois Cassandre à Troie, et Anne à Carthage. Quant à Enée et Iarbas, on dirait presque deux frères jumeaux, alors même qu'ils sont interprétés tous deux de façon superbe l'un par un ténor (le Finlandais Topi Lehtipuu) et l'autre par un baryton (le Britannique Ivan Ludlow).
Le tout est, à l'une ou l'autre exception près, d'une très belle tenue vocale, et excellemment soutenu par les Talens Lyriques. Rousset dirige avec beaucoup de compétence et d'élégance, mais on regrette parfois un certain manque de sens théâtral, notamment dans des récitatifs un peu sages.