La Tribune de Genève · 4 janvier 2001 · LA DIDONE

La Tribune de Genève · 4 janvier 2001 · LA DIDONE
La mise en scène vénitienne s'adapte mieux à la 1ère partie qu'à la 2nde.
Presse internationale
Critique
Yaël Heche
04 Jan 2001
La Tribune de Genève
Langue: Français
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La Tribune de Genève

4 janvier 2001 · Yaël Heche

LA DIDONE lausannoise se mue en safari vénitien

LYRIQUE : CHRISTOPHE ROUSSET et ÉRIC VIGNER assurent la réussite du spectacle.

LA DIDONE que propose actuellement l'Opéra de Lausanne a les défauts de ses qualités. Conçue comme affiche de fin d'année haute en couleur, cette production est une réussite. Comme drame, les amours célèbres de Didon et Enée laissent le spectateur sur sa faim.

Musicalement, l'affaire se déroule bien. Sous la baguette de CHRISTOPHE ROUSSET, l'orchestre Les Talens lyriques fait renaitre avec suggestivité la partition de CAVALLI. La chaleur des sonorités et le lyrisme constant apportés par le chef n'empêchent pas au discours musical de se dérouler avec la gravité requise. Clavecin, orgue, harpe et théorbe se partagent un continuo d'une infinie richesse. Loin d'être un remplissage sonore ennuyeux, son inventivité constante en fait un partenaire à l'égal des chanteurs.

Ces derniers livrent également une interprétation digne d'admiration, bâtie sur des rôles doubles. À commencer par Juanita Lascarro (Didone et Creusa), simplement parfaite. La voix parfois fatiguée de Katalin Varkonyi (Anna et Cassandra) convainc moins, mais demeure d'une belle stature. Les messieurs ne sont pas en reste: poursuivant sur le thème du double, semblables à s'y méprendre, l'Enée de Topi Lehtipuu et le larba incarné par Ivan Ludlow livrent une performance impeccable. Enfin, parmi tous les seconds rôles qu'il est impossible de citer, mentionnons tout de même l'Eole de John Bowen, dieu au timbre altier mais non dépourvu de pétulance.

Musiciens masqués

La mise en scène d'ÉRIC VIGNER se veut à l'image de l'opéra: vénitienne. Paradoxalement, une telle idée s'adapte mieux à la première partie de l'ouvrage — se déroulant dans une Troie détruite — qu'à la seconde située sur les côtes africaines. Lorsque le rideau s'ouvre, la scène devient le prolongement de la fosse. Les musiciens sont masqués à l'instar de la plupart des chanteurs. Des costumes aux couleurs vives et franches viennent souligner plus encore cette ambiance de carnaval tandis que le sol de marbre évoque le palais de quelque doge. Le carnaval est plutôt triste d'ailleurs. Çà et là, des cadavres jonchent le sol. On sent que le drame s'est déjà déroulé. Couché sur le flanc, un rhinocéros trône au milieu du plateau.

Rhinocéros suspendu

C'est là qu'ÉRIC VIGNER s'engage dans une surenchère bien inutile. La grosse bête à cornes encombre l'espace scénique sans être d'aucune utilité particulière. Placée ici en allusion au tableau Le rhinocéros à Venise de Pietro Longhi, cette référence picturale demeure sans nul doute impénétrable pour l'essentiel du public qui l'interprétera comme un vague symbole de Carthage. Il en va de même pour la corne d'or du mammifère, délicatement accrochée à côté du panneau de surtitrage.

Dans la deuxième partie, l'ambiance vénitienne s'accorde plutôt bien avec la perspective d'une Afrique toute de plaisirs. Si en voulant éviter tout décorum baroque, le metteur en scène réussit à transcender les situations préfabriquées de l'opéra, il vide aussi le drame de sa sève. Le carnaval finit par lasser, la tragédie vire au badinage. Ce sont ainsi les éclairages subtils de Christophe Delarue qui donnent leur force aux adieux d'Enée à Didon et non un jeu d'acteurs minimal.

Le final de l'ouvrage est un véritable réveillon. Un déluge de confettis tombe des cintres tandis que l'envahissant animal se voit soulevé du sol. On s'interroge tout de même sur la symbolique de ce rhinocéros suspendu.