Bretagne(s) · 2008 · ÉRIC VIGNER
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Bretagne(s)
L'exception culturelle française reste un exemple admirable
Vous travaillez régulièrement à l'étranger. Quel regard portez-vous sur les politiques culturelles, ici et ailleurs?
La politique culturelle française est la plus établie et la plus construite. Elle a une histoire de 50 ans, héritée d'une tradition qui remonte au 17e siècle. On a maintenant un territoire complètement maillé d'équipements culturels conséquents et intéressants concernant le spectacle vivant en particulier.
De quelle manière le volontarisme culturel français est-il perçu à l'étranger ?
Il est perçu comme une chance inouïe. Aux États-Unis par exemple, il n'existe qu'un système privé, libéral, de sponsors, ou bien universitaire. J'arrive tout juste d'Atlanta où j'ai mis en scène Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, présenté au 7 Stages d'Atlanta. Il est très compliqué d'y produire un auteur contemporain français : le théâtre aux États-Unis est majoritairement un théâtre de divertissement qui n'a pas d'ambition culturelle et éducative.
La politique culturelle de la France est une politique culturelle au sens noble : elle fait connaître les grands textes, les belles-lettres et tente d'éradiquer l'ignorance. On croit ici qu'une politique culturelle rend les gens plus humains, plus sensés, moins barbares. C'était l'ambition de départ et elle a porté ses fruits. C'est ce qui est beau en France, on s'en rend compte quand on va à l'étranger. La situation y est terrible. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité que le CDDB-Théâtre de Lorient travaille en collaboration avec des théâtres qui mènent une action culturelle intéressante.
En comparaison avec ce que vous avez pu observer dans les différents pays où vous avez travaillé, pensez-vous que l'effort mené en matière d'éducation artistique en France a produit des effets sensibles?
Ce n'est pas comparable. Aux États-Unis, la politique de l'État en faveur de l'éducation artistique n'existe pas comme en France. Si les États-Unis sont actifs dans la production artistique, plastique, littéraire et cinématographique la production d'un théâtre de création contemporaine est rare. Le 7 Stages d'Atlanta, que je connais bien, est un théâtre d'exception, il est engagé politiquement, il est implanté dans un quartier populaire. Atlanta c'est la ville de CNN, de Coca Cola, et de Martin Luther King, assassiné il y a 40 ans. Ce n'est ni New York ni Washington ni Boston, qui ont des grandes traditions universitaires. Ce théâtre existe depuis 30 ans, il œuvre pour la défense des minorités et a milité contre l'apartheid. Il a vu défiler le Ku Klux Klan au début de sa carrière pour protester contre son action. Il est porté par des gens qui ont cherché à nouer des liens avec l'extérieur, et en particulier avec des auteurs allemands. Leur projet autour de Bernard-Marie Koltès est tout à fait exceptionnel, il est même utopique et unique à l'échelle des États-Unis.
Aux États-Unis, on peut se cultiver parce qu'on a la chance d'être étudiant dans telle ou telle université car le théâtre savant, différent du théâtre de divertissement, y sera toujours lié au monde universitaire. Le système des centres dramatiques nationaux n'existe absolument pas là-bas, du coup la majorité des théâtres sont assujettis aux lois du commerce et puisent dans un répertoire traditionnel s'ouvrant rarement à la création contemporaine. Il n'y aura pas de gros risques parce que le public n'est pas du tout habitué à ça. Par ailleurs, les places sont très chères. La finalité n'est pas la même: aux États-Unis il s'agit plus de consommer que de s'éduquer ou se cultiver. L'exception culturelle française est un exemple admirable. On peut trouver des équivalents en Allemagne mais si on pense au théâtre en Angleterre c'est très compliqué, en Italie n'y pensons pas, c'est fini, il n'y a plus de subventions d'État pour le spectacle vivant ou ce qu'il en reste, ni plus largement pour l'art et la culture. Il faut absolument préserver cette exception française. Cela ne coûte pas si cher que cela et cela rapporte beaucoup.
Qu'en est-il en Russie, en Albanie ou en Corée où vous avez aussi travaillé?
En Russie, il existe une tradition théâtrale très puissante. À Moscou, il y a beaucoup de théâtres, une grande diversité de propositions et un public nombreux. Je ne pense pas qu'il y a une désaffection du public mais il y a de moins en moins de subventions des collectivités pour soutenir le théâtre.
En Albanie ou en Corée, nous avons travaillé avec des théâtres nationaux. Le Théâtre national de Séoul, toutes proportions gardées car il n'a pas 350 ans d'existence, est l'équivalent de notre Comédie-Française. Il s'occupe de transmettre le patrimoine et l'héritage culturel coréen après l'occupation japonaise (de 1910 à 1945, ndlrl ). Quant au théâtre national albanais, il souffre de la mondialisation et de la phase de libéralisme qu'on connaît partout dans le monde: il subit un manque de subventions et un abandon de l'État.
Pensez-vous que la place de la culture en Bretagne est différente de ce que l'on observe dans les autres régions?
J'ai l'impression que la Bretagne est bien dotée sur le plan du théâtre. Il y a 3 scènes nationales: la Passerelle à Saint-Brieuc, le Quartz à Brest et le Théâtre de Cornouaille à Quimper, 1 centre dramatique national, le CDDB à Lorient, et un centre européen de production théâtrale et chorégraphique, le TNB à Rennes. C'est une région qui bouge bien. Les 20 dernières années ont été fructueuses pour le spectacle vivant en Bretagne. On a vu le résultat de l'implantation d'une politique culturelle liée à la décentralisation culturelle. Le CDDB est le dernier né des centres dramatiques nationaux français. Je ne pense pas qu'il y en aura d'autres parce que le territoire est maintenant complètement irrigué. La politique culturelle de la ville de Lorient, par exemple, est tout à fait exemplaire. La ville était un peu en détresse il y a une dizaine d'années et elle s'en est sortie par la culture. Un de ses points forts, c'est d'avoir mis l'accent sur la culture.
On arrive aujourd'hui à un tournant pour les politiques culturelles. Peut-on réellement espérer que l'accent mis sur la culture restera fort?
Il y a une désaffection de l'État et elle va s'accentuer. Il y a eu une politique expansionniste pendant des années, en particulier dans les années 1980, et depuis la fin des années 1980 on observe une certaine récession, quel que soit le gouvernement en place. Ce n'est pas une affaire politique au sens droite-gauche. Ce que veut l'État, c'est que les régions, les départements et les villes reprennent la politique que l'État a initiée et prennent en charge complètement leur politique culturelle. Évidemment, on compte beaucoup sur la Région Bretagne.
Cette évolution peut aussi mener à des inégalités entre territoires.
Oui, inévitablement, cela créera des inégalités et les régions les plus fortes seront celles qui privilégieront la culture, l'art et la création. Elles y ont intérêt. La tradition en Bretagne a toujours été d'aller vers l'Autre, de créer des liens. Cela existe au niveau industriel et commercial et je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas au plan culturel. C'est un héritage de l'histoire et il serait bon d'assurer une continuité dans ce sens. Travailler avec les autres et ne pas simplement les accueillir permet d'établir des liens sur un très long terme et aussi de faire découvrir cette région. Il y a 12 ans, on a fait venir l'équipe du 7Stages pour donner des représentations en anglais, ce qui, au passage, n'a posé aucun problème aux Lorientais. Le plus fort taux de fréquentation sur un spectacle a été l'accueil du théâtre national de Corée pour la première fois en France avec la mise en scène du Bourgeois gentilhomme en coréen : 5000 spectateurs pour 5 représentations.
Les Régions doivent penser à l'avenir et pas seulement à vivre de leur richesse patrimoniale. Je pense que la Région Bretagne se doit de soutenir la création du spectacle vivant dans ses travaux innovants et la mise en place de liens internationaux. Défendre l'héritage sans perdre de vue la création et l'avenir. Il faudrait donner de la lisibilité à l'ouverture vers l'extérieur. Je souhaiterais mettre en place à Lorient un évènement culturel qui s'ouvre sur l'ailleurs, cela ferait écho à son histoire et à son origine.
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