24 heures · 4 janvier 2001 · LA DIDONE

24 heures · 4 janvier 2001 · LA DIDONE
La savante répartition des rôles apporte une clé à l'histoire.
Presse internationale
Critique
Matthieu Chenal
04 Jan 2001
24 H Lausanne
Langue: Français
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24 heures

4 janvier 2001 · Matthieu Chenal

De la sensualité et du désir

Au départ, il y a un désir d'opéra; l'envie pour le metteur en scène de théâtre ÉRIC VIGNER de monter un opéra baroque avec le claveciniste CHRISTOPHE ROUSSET. Ce sera LA DIDONE de Cavalli, dramma per musica créé à Venise en 1641, recréé à Lausanne pour le Nouvel An 2001. Dans la vision des deux artistes, LA DIDONE est un opéra sur le désir, sur l'amour et l'érotisme. Si le théâtre pouvait véhiculer des odeurs, la production lausannoise de LA DIDONE serait certainement saturée de senteurs entêtantes, d'effluves corporels : piments, épices, sang et sueur. Sur la musique très ténue de Cavalli — un long récitatif entrecoupé de ritournelles orchestrales que CHRISTOPHE ROUSSET délivre avec finesse et économie — ÉRIC VIGNER a conçu une scénographie dénudée, aussi impalpable qu'un bouquet de parfums.

La première partie exhale une odeur de mort. Des cadavres sont déshabillés et lavés sous la lumière blafarde des néons d'une morgue. C'est le sac de Troie par les Grecs, la fuite pitoyable d'Enée et de sa famille, la mort de Créuse, sa femme, les lamentations déchirantes de Cassandre et Hécube, pleurant les maris et les fils massacrés. Un monde froid, incohérent, où les humains sont les jouets de dieux capricieux.

Toutes les fragrances capiteuses de l'Afrique sont convoquées dans la deuxième partie qui culmine avec le coup de foudre intense et aveuglant de Didon pour Enée. La reine de Carthage libère les interdits. Dans la chaleur tropicale, les masques et les habits tombent, c'est la saison des corps unis et des coeurs émus. L'étreinte charnelle du couple sera aussi violente que brève. La ligne musicale jusque-là dépressive pour dire les pleurs, se mue en caresse lascive, mais aussi en jalousie et en folie pour le pauvre Iarbe, amant éconduit de la reine.

Un rêve troublant

Pour incarner cette fable sensuelle, le tandem ROUSSET-VIGNER a réuni la plus belle et la plus jeune des distributions. À l'homogénéité et à la perfection vocale s'ajoute un fait rarissime dans une distribution : la savante répartition des rôles apporte une clé à l'histoire.

C'est la même chanteuse qui joue Créuse et Didone. Enée tombe donc amoureux de la même femme. Parallèlement, Enée et Larbe sont presque jumeaux : Didon aime ainsi un seul homme avec lequel elle finira par se marier. Les couples se confondent et les identités s'estompent. L'épisode africain d'Enée ne serait-il pas un rêve d'amour fou et d'exotisme dans son destin implacable régi par le Ciel? Didon n'a-t-elle pas rêvé qu'elle succombait à un guerrier de passage avant de s'unir sagement à son prétendant?
Et l'auditeur n'est-il pas lui aussi plongé dans un rêve troublant, en un pays mythologique où les dieux se déchirent et les humains s'aiment à l'ombre d'un rhinocéros?