Le Progrès Lyon
2 janvier 2001 · A. Mafra
Les raffinements de l'opéra vénitien
CHRISTOPHE ROUSSET et ÉRIC VIGNER donnent vie à LA DIDONE de CAVALLI dans une production s d'une rare intelligence musicale et dramatique. Jusqu'au 9 janvier à Lausanne.
Invité à animer l'Académie Baroque d'Ambronay en 1997, CHRISTOPHE ROUSSET avait choisi de travailler LA DIDONE. Trois ans plus tard, à l'Opéra de Lausanne, il remet cette oeuvre de Francesco CAVALLI sur le métier. Cette fois-ci avec des moyens plus ambitieux qui restituent le génie de ce musicien encore marqué par l'empreinte de Monteverdi dont il fut l'élève le plus doué.
Monter un opéra vénitien de la moitié du XVlle siècle implique de faire des choix. Il n'était pas question de jouer une intégrale de plus de quatre heures, encore moins de conserver tous les éléments d'un livret ignorant la règle des trois unités d'action, de lieu et de temps. Avec le metteur en scène ÉRIC VIGNER, CHRISTOPHE ROUSSET a largement taillé dans le texte de Francesco BUSENELLO, l'auteur du livret du Couronnement de Poppée, et choisi une optique dramatique rigoureuse, centrée sur les principaux personnages de L'Eneide de Virgile. Modèle de recitar cantando, littéralement dire en chantant, l'écriture de CAVALLI hérite des premières formes de l'opéra italien qui ont précédé les tournures pyrotechniques du bel canto.
L'effectif réduit et les rares interludes instrumentaux caractérisent des oeuvres qui à l'époque disposaient de faibles moyens et étaient destinées à être jouées dans des petits théâtres. En accord avec la vision du dramaturge, CHRISTOPHE ROUSSETa donc rajouté quelques ritournelles et transposé deux rôles, des pratiques très courantes au XVIIe siècle. Enfin, l'instumentarium est conforme à celui de la création, si ce n'est l'ajout des cornets et des flûtes. Ces précisions sont importantes pour comprendre la manière dont les partitions de CAVALLI et de ses contemporains sont abordées.
Distribution très jeune
Ceux qui ont vu LA DIDONE du festival d'Ambronay entendront donc autre chose. Centré sur le thème de l'amour, le parcours dramaturgique d'ÉRIC VIGNER nous plonge dans le monde des rêves. Dans un décor dépouillé, sans ruines ni palais, autour d'une immense carcasse de rhinocéros, les personnages évoluent dans un univers indéterminé en costumes légers de Paul Quenson, aux couleurs franches, laissant les corps exprimer la nudité: comme un symbole de l'innocence.
Évitant l'écueil du réalisme; la direction d'acteurs privilégie la fluidité des mouvements à d'une musique sensible, oscillant entre la sérénité et la douleur, osant quelques respirations burlesques comme pour mieux mettre en valeur de superbes lamentos.
La distribution, très jeune, s'est pliée à ce regard plein de sensibilité. Juânita Lascarro prête sa voix de velours et ses aigus bouleversants à Creuse, la femme défunte d'Enée, et à la reine de Carthage. Topi Lehtipuu, jeune baryton finlandais doté d'un très beau timbre, incarne Enée et Ivan Ludlov interprète larbas. Ils se ressemblent, et vocalement, et physiquement, donnant l'impression d'une gémellite qui souligne les ambiguïtés du livret poétique et audacieux de BUSENELLO.
Le reste de la distribution, où l'on retrouve Hélène Le Corre, Ascagne, rivalise de style et cite : musicalité avec les trois principaux chanteurs. Dans la fosse, à la tête des Talens Lyriques, CHRISTOPHE ROUSSET donne vie, à une partition qu'il a depuis longtemps apprivoisée.
Soulignant les détails, ne forçant jamais l'allure, il entraîne les mélomanes dans cette épopée légendaire qui finit sous une superbe pluie de cotillons multicolores.