Théâtre on line · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA

Théâtre on line · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA
Pluie, brouillard et fumée
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Critiques
David Larre
24 Nov 2006
Théâtre on line
Langue: Français
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Théâtre on line

DAVID LARRE

Pluie, brouillard et fumée

Adapter DURAS, et, pour en faire entendre la langue, forcément singulière, suturer deux textes hétérogènes dans une esthétique libre et décalée, tel est le pari insensé d’ÉRIC VIGNER. Familier de l’écrivain qui a bien voulu lui offrir les droits du scénario d’Hiroshima mon amour, le metteur en scène a réuni autour de lui graphistes à la mode (les Parisiens de M/M) et comédiens venus d’horizons divers pour célébrer, avec la beauté de l’accent et de la diction, ces immigrés de Vitry-sur-Seine ou cet amant d’Hiroshima qui, s’élançant dans le français, lui rendent son étrangeté et sa beauté. Sur ce postulat fort, présenté en ouverture sous la forme obvie de la lecture du texte, le spectacle construit sa marche, entre stylisation élégante et bizarreries creuses.

À l’entrée de la salle, l’ouvreuse fait d’inhabituelles mises en garde : ne pas déposer ses vêtements sur le plateau, ne pas se déplacer dans la salle. Lorsqu’on pénètre plus avant, on comprend mieux. Un immense plateau a été construit pour l’occasion, il partage en deux la salle et les spectateurs et il est troué à intervalles réguliers par des formes en tubercules qu’on retrouve sur les panneaux horizontaux transparents qui coulisseront dans la dernière partie du spectacle. Au sol, des sortes de pommes de terre argentées sont déposées, dont le caractère d’accessoire reste, pour le moins, problématique. Il faut un peu de temps pour passer sur le caractère décoratif et vain de cette scénographie, mais les cinq comédiens réunis par le texte de La Pluie d’été aident un peu le spectateur en cela.

Dès que, sortis et littéralement enfantés de la lecture, se mettent en vie les personnages, un certain charme prend : la marche précautionneuse et le regard ouvert de Nicolas Marchand (Ernesto, l’enfant génial ou mystificateur, qui ne veut plus aller dans une école où on lui apprend "des choses qu’il ne sait pas"), le débit grinçant, entre asthénie et cynisme, de Thomas Scimeca (le Père), l’enracinement terrien et l’inquiétude de Hélène Babu (la Mère) restituent toute une mythologie familiale de déclassés, dont les rapports fusionnels sont presque le seul refuge contre un monde extérieur. À plusieurs reprises, inquiétés par un instituteur au bord de la compréhension (Thierry Godard), un journaliste intrusif (Marie-Éléonore Pourtois), ils se replient, deviennent obscurs à eux-mêmes, laissant une certaine forme de violence (l’inceste, puis l’explosion de la famille) faire ses ravages.

La transition avec le dialogue entre Elle et Lui dans Hiroshima à peine cicatrisée est pour le moins artificielle. Passons sur le départ de feu qui menaça un instant le plateau, et sur l’apparition de spectres noirs (griffés M/M) qui rappellent, à défaut des fantômes de la ville, les personnages mythologiques de Miyazaki. Quand Elle (Jutta Johanna Weiss) entre en scène, élégante et surannée, avec son port et sa voix à la Delphine Seyrig, et qu’elle entame avec Lui (Atsuro Watabe) ce pas de deux qui les rapproche au rythme du jazz, on est prêt à y croire. Ce n’est pas très éloigné du maniérisme, désormais convenu, de la rencontre amoureuse chez un Wong-kar-Wai, mais cela prend. Las, l’intérêt pour le spectacle retombe presque aussitôt : les déclamations trop posées et les cris de la comédienne, la diction du comédien, le brouillage de la situation amoureuse (l’amant de Nevers, l’amant du Japon), les effets de ponctuation temporelle irritants (maudits panneaux coulissants) additionnent leurs effets négatifs. C’est alors le spectacle qui désigne lui-même ses insuffisances et ses partis pris contestables.