Le Journal de Montréal · 16 janvier 2010 · SEXTETT

Le Journal de Montréal · 16 janvier 2010 · SEXTETT
Surréalisme normal
Presse internationale
Critique
Benoît Aubin
16 Jan 2010
Le Journal de Montréal
Langue: Français
Tous droits réservés

Le Journal de Montréal

16 janvier 2010 · BENOÎT AUBIN

Surréalisme normal : Le divertissement de l'étrange

ANNE-MARIE CADIEUX et MARIE-FRANCE LAMBERT sont encore emballées par l'aventure professionnelle qu'elles viennent de vivre : aller en France pour participer, depuis le tout début, à la création d'une pièce inédite, avec une équipe de haut calibre.

Quand ANNE-MARIE CADIEUX et MARIE-FRANCE LAMBERT ont accepté l'offre d'aller travailler à Lorient, en Bretagne, sur SEXTETT, la pièce de Rémi de Vos n'avait pas été écrite encore. L'auteur l'a écrite sur mesure pour les cinq comédiennes, réunies autour du comédien Micha Lescot par le metteur en scène Éric VIGNER.
"C'était une aventure très tentante d'aller travailler à l'étranger et de s'intégrer dans une équipe là-bas", assure MARIE-FRANCE LAMBERT.
La distribution de la pièce est assez cosmopolite. Elle parle et chante en anglais, en allemand, en portugais et en arabe. "C'est une opportunité très rare, dit ANNE-MARIE CADIEUX. D'habitude, quand on va à l'étranger, c'est pour porter un spectacle quia été produit ici. Aller là-bas pour participer à une création est totalement différent."
L'oeuvre a été commandée par l'Espace Go de Montréal, pour marquer le trentième anniversaire de ce théâtre de création.
L'oeuvre a été créée au centre dramatique national de Lorient en Bretagne, avec lequel l'Espace Go a des liens étroits. Elle fut aussi jouée à Paris, avant d'être créée ici à Montréal cette semaine.

Scène dépouillée

La pièce se joue dans un immense décor kitch rappelant les années 60, sur une scène recouverte de moquette, mais dépouillée de tout meuble et accessoire.
Elle raconte l'histoire d'un jeune homme qui revient à la maison après la mort de sa mère. Bouleversé, il est assailli par ses souvenirs, ses fantasmes amoureux, ses craintes et sa propre ambivalence vis-à-vis des femmes.
"Ce n'est pas vraiment une comédie, ce n'est pas une oeuvre réaliste, explique ANNE-MARIE CADIEUX. C'est une fantaisie, une espèce de ballet fantaisiste."
Surréaliste? MARIE-FRANCE LAMBERT ajoute: "Il y a des gens en France qui disaient: c'est tellement étrange ce que vous faites, c'est tellement étrange ce qu'on voit, mais vous êtes tellement à l'aise, c'est tellement assumé, que cela a l'air normal."
Avant de conclure : "C'est une pièce qui pose des questions plus qu'elle n'apporte de réponses. Mais c'est avant tout un divertissement."

Que dire ?

D'habitude, une oeuvre parvient à nous faire comprendre au moins une chose : pourquoi elle existe. Dans le cas de SEXTETT, c'est moins clair.

Intrigué comme tous les autres par la publicité présentant la pièce comme une comédie érotique explicite et décalée, j'avais hâte de voir : était-ce une attaque féministe contre le mâle lubrique, ou une comédie de moeurs à faire hurler les féministes?
Ou bien alors un brûlot cherchant le scandale, une comédie (l'alcôve voulant émoustiller le bourgeois, ou un de ces trucs néo-modernes qui se prend le chou et nous triture les méninges?
Rien de tout cela. J'ai vite oublié mes questionnements. C'est du théâtre. Des comédiens qui jouent. Chantent, bougent. Nous font rire, parfois. C'est un spectacle. Original, certes. Très bien monté, bien joué aussi. On y passe un bon moment.

Les deux lesbiennes (Maria de Madeiros et Jutta Johanna Weiss), qui chantent du Schubert (pour vrai et bien) et se balancent des obscénités en anglais, sont rigolotes. La pute (Johanna Nizard), avec son masque (le latex, ses souliers plateforme et sa poitrine hypertrophiée, est fellinienne.
Les deux comédiennes locales, dans cette production cosmopolite, se tirent bien d'affaire.
ANNE-MARIE CADIEUX, en secrétaire guindée très sixties, avec un faux accent français, fait souvent rire.
Dans le rôle de la chienne des voisines (portant une tête de chien et un chemisier transparent), Marie-France Lambert joue sans doute le rôle de composition le plus étonnant de sa carrière.

Intriguant

La pièce est portée par Micha Lescot, un jeune comédien agile et séduisant, qui incarne avec finesse un personnage sexuellement ambigu, aux prises avec les avances insistantes de ces femmes qui sont de nature à faire fuir de plus costauds que lui.
Sextett est un spectacle qui se passe bien, qui se prend bien, fait souvent sourire, et parfois rire. C'est mi spectacle intriguant, surprenant, mais qui ne parvient pas vraiment à engager le spectateur, à le toucher, qui ne parvient pas à provoquer ses sentiments ou à lui suggérer de nouvelles idées.

Les comédiens et le metteur en scène méritaient les applaudissements, mais, le soir de l'avant-première, la foule est restée assise, contrairement à l'habitude des Montréalais, qui ont l'ovation debout plutôt facile.
À la fin, une spectatrice a résumé son impression avec cette simple question : "Que dire?"
Dire que la chose qui manque à ce spectacle, par ailleurs réussi, est un texte à la hauteur du reste de la production?
Ou alors, qu'il est victime de sa promotion, qui a créé des attentes irréalistes ?