La Marseillaise · 18 janvier 2004 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

La Marseillaise · 18 janvier 2004 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
C'est une pièce d'eau, de feu, de vent, de mémoire fracassée, et de coeurs brisés.
Presse régionale
Critique
Maxime Romain
18 Jan 2004
La Marseillaise
Langue: Français
Tous droits réservés

La Marseillaise

18 janvier 2004 · Maxime ROMAIN

"SAVANNAH BAY" c'est fou ce qu'on peut l'aimer...

Evénement au Jeu de Paume, où dans le cadre des A.T.P. est joué SAVANNAH BAY la pièce de Marguerite Duras mise en scène à la Comédie Française par Éric Vigner avec Catherine Samie et Catherine Hiegel.

C'est une pièce d'eau, de feu, de vent, de mémoire fracassée, et de coeurs brisés. Une pièce sur les jeux du hasard, de la passion et de la mort. Créée par Madeleine Renaud, et Bulle Ogier, dans une mise en scène de Marguerite Duras elle-même, SAVANNAH BAY met aux prises une vieille femme nommée Madeleine, et une autre plus jeune présentée comme étant sans doute sa petite fille.

"C'est fou ce que je peux t'aimer, ce que je peux t'aimer d'amour" chante Édith Piaf sur un vieux phono. Il sera beaucoup question d'amour justement, entre les affrontements larvés, et les appels au secours de l'une et de l'autre. La vielle femme est actrice. Elle a tout joué, partout. Même à Montpellier où la pièce était d'un auteur français et même un film avec Henry Fonda. Elle a beaucoup voyagé, et dans ses yeux abîmés d'avoir trop pleurer, des images défilent. L'une évoque une pierre blanche, et l'autre une noyade. Les deux événements se confondent, et l'on ne saura jamais comment finalement l'on en est arrivés là.

Ce que l'on sait par contre c'est que SAVANNAH BAY résume à elle seule toute l'oeuvre de Marguerite Duras. On y parle de cinéma, de représentation théâtrale, d'écriture, de legs spirituel, d'histoire familiale compliquée, de folie intérieure et de main tendue vers la souffrance de l'autre. C'est beau, bouleversant, prenant, et ici tout est rendu magique par le duo d'actrices qui toutes deux sociétaires de la Comédie-Française demeurent nettement au dessus du lot commun. Dans le rôle de la vieille femme Catherine Samie plonge le spectateur dans les eaux troubles où se débat son personnage. Catherine Hiegel ne se contente pas de lui donner la réplique. Elle illumine l'autre versant de la pièce, son aspect solaire en y apportant sa touche de rationalité. L'une meurt d'avoir vu la mort, l'autre renaît d'enfin comprendre qui elle est.

Pour orchestrer l'ensemble Éric Vigner, magicien metteur en scène, doté d'un fabuleux esprit critique, privilégie la lisibilité du texte à son aspect touffu, et âpre. Son décor construit sur deux temps narratifs, la traversée du miroir, et l'immersion à SAVANNAH BAY, offre d'abord un rideau en sorte de paravent chinois, puis une scène débarrassée d'objets avec comme accrochée aux limbes de notre mémoire commune une immense photo de Marguerite Duras. Magnifique Marguerite, écrivaine exceptionnelle qui est là, qui semble nous parler, et veiller à aider le metteur en scène dans sa tache. Voire ici lui rendre hommage, tant elle aurait apprécié ce travail remarquable de densité, de sobriété, et de recherche formelle. C'est ainsi que Savannah est grande. Et que les A.T.P. d'Aix qui ont proposé ce spectacle en collaboration au Jeu de Paume toujours aussi inventifs, et dénicheurs d'objets rares.