Les Inrockuptibles
1 mars 2006 · Claire Moulène
"Une écriture en perpétuel mouvement"
ÉRIC VIGNER entretient depuis près de quinze ans une relation privilégiée avec les textes de MARGUERITE DURAS. En 1993, il a été le premier à mettre en scène La Pluie d'été, avant de faire entrer Savannah Bay à la Comédie-Française, en 2002. Cet été, c'est au Festival d'Avignon qu'il présentera une adaptation personnelle d'Hiroshima mon amour.
Que représente pour vous aujourd'hui l'oeuvre de DURAS ?
ÉRIC VIGNER - Lorsque j'ai adapté La Pluie d'été, que Marguerite a écrit en 1989, j'ai travaillé avec des élèves du conservatoire puis la pièce a tourné, et Marguerite nous a suivis presque partout. Dans son dernier livre, C'est tout, elle évoque d'ailleurs cette période-là. C'est à la même époque qu'elle m'a confié le scénario de Hiroshima mon amour. J'ai donc décidé de travailler pour le Festival d'Avignon autour de ces deux textes magnifiques. Le spectacle qui se jouera dans le Cloître des Carmes s'appelle La Pluie d'été à Hiroshima. Il sera question du rapport très personnel que j'entretiens avec l'écriture de DURAS depuis des années. Pour moi, c'est une écriture en perpétuel mouvement, suffisamment généreuse pour permettre à d'autres de s'en emparer dans des champs aussi divers que le cinéma, le théâtre ou même la radio. La Pluie d'été, par exemple, a donné lieu à un court métrage des Straub et d'Alain Robbe-Grillet, tandis qu'Hiroshima..., à un moment, a rencontré l'écriture d'Alain Resnais.
DURAS disait : "Le théâtre, c'est mal foutu, on subit la gesticulation théâtrale sans ressentir d'où vient l'écriture ." Comment résolvez-vous ce paradoxe d'une certaine intimité devenue publique ?
Elle a écrit un texte dans La Vie matérielle où elle annonce qu'elle veut faire du théâtre lu et non pas joué. Et en effet le théâtre de DURAS est très particulier, c'est avant tout un théâtre de la parole, de la diction, de la proclamation ou de la profération.
Quels enjeux cela représente-t-il de faire vivre aujourd'hui au théâtre l'oeuvre de MARGUERITE DURAS ?
Je pense que c'est une écriture qui n'a pas encore été complètement découverte, elle laisse quelque chose qu'on peut encore transformer et s'approprier en ce début de XXle siècle. Pour moi, elle n'appartient pas à l'histoire ou au patrimoine. D'abord, c'est une parole de femme, une parole tournée vers l'avenir, une parole engagée sur un plan social, littéraire, politique et très intime en même temps. Il y a aussi dans l'oeuvre de DURAS une question centrale qui est celle de Dieu, tellement d'actualité en ce moment. Dans La Pluie d'été par exemple, ce que découvre Ernesto à l'école c'est l'inexistence de Dieu. Puis il part en Amérique pour travailler à la construction de grandes centrales scientifiques, on peut imaginer qu'à ce moment-là, il espère une certaine forme de fin du monde. Dans Hiroshima... il est aussi question de fin du monde, d'apocalypse, le champignon atomique a-t-il révélé ou tué Dieu ? Chez DURAS, les questions restent toujours ouvertes, il n'y a pas de résolution.