L'Express
26 mai 1995 · Christiane Duparc
BAJAZET ***
Fin de saison en fanfare au Vieux-Colombier, où Éric Vigner, peut-être l'un de nos futurs "grands" metteurs en scène, monte, non sans panache, cette tragédie turque de Racine (1672), qui se passe à Byzance, dans le sérail du sultan Amurat, parti guerroyer contre les Perses à Babylone.
Il n'est donc question que d'amour et de mort. "Mieux vaut mourir que d'abandonner ce qu'on aime", dit Bajazet, follement chéri de Roxane, la dangereuse sultane, alors que lui-même est très épris d'Atalide, qui le lui rend bien. On connaît la suite complots, trahisons, meurtres, ces liaisons dangereuses vont très mal finir.
Vigner s'est jeté avec fougue sur ce très beau texte, et son spectacle, oriental, mystique, austère, ne manque pas d'audace. Voix sourdes aux douleurs de muezzin venues du ventre, élégances hiératiques comme héritées des dieux, incantations, prières, litanies, jeu syncopé, haché, Martine Chevallier, Isabelle Gardien, Jean Dautremay, Eric Ruf, Alain Lenglet sont superbes. Décor efficace, entre mosquée et ziggourat ; costumes exotiques, musique lancinante, l'ensemble - un peu moins maîtrisé peut-être vers la fin - envoûte. Pour ceux qui aiment le théâtre.