La Terrasse · Octobre 1999 · L'ÉCOLE DES FEMMES
- Description du doc
- Identité du doc
- Références aux autres types de contenus
- Source et propriété intellectuelle
- Archivage
Description du doc
La Terrasse
Octobre 1999 · Pierre Notte
Entretien avec Éric VIGNER : L'ÉCOLE DES FEMMES est une matrice
Il y a deux ans, ÉRIC VIGNER présentait Bajazet de RACINE sous la voûte du Vieux Colombier avec les acteurs de la Maison de MOLIÈRE. Directeur du Centre Dramatique National de Bretagne, à Lorient, il convoque aujourd'hui les comédiens Français dans la salle Richelieu, sur les bancs de L'ÉCOLE DES FEMMES de MOLIÈRE. ÉRIC VIGNER répond à La Terrasse...
En janvier 1999, vous présentiez Marion De lorme de Victor Hugo, au Théâtre de la Ville. La violence des réactions du public et de la critique a-t-elle changé votre façon de voir et de vouloir faire le théâtre ?
ÉRIC VIGNER : Je suis devenu plus radical qu'avant ! La violence s'est essentiellement exercée à Paris. A priori, on pouvait penser que la capitale recevrait aisément une proposition artistique aussi radicale. En réalité, Paris est l'un des lieux les plus conservateurs. Ailleurs, comme à Lorient, à Dieppe, ou en Auvergne, le spectacle a été très chaleureusement accueilli. Certains espaces conviennent mieux que d'autres à certaines propositions. Il y a probablement des endroits où le public n'est pas disposé à recevoir ce genre de projets...
Est-ce pour préparer le public que vous avez fondé, avec Éric Ruf et Arthur Nauzyciel, les N.R.V. ?
É. V.: J'ai la chance de diriger un petit théâtre en bord de mer, un lieu à échelle humaine, dont le plateau est deux fois plus important que la salle, ce qui permet au public d'être "dans l'oeuvre", et pas "devant l'oeuvre". Je souhaitais pouvoir accompagner et produire de jeunes artistes, des gens qui proposent une véritable démarche artistique. Beaucoup de gens sont passés par Lorient, dont Arthur Nauzyciel et Éric Ruf. Il y a eu une véritable rencontre, une réelle communauté de pensée.
Nauzyciel met en scène Le Malade imaginaire et assure la collaboration artistique de L'ÉCOLE DES FEMMES. Ruf est à l'origine des Belles endormies et joue Horace dans votre mise en scène. Pourquoi les N.R.V s'intéressent-ils tant à MOLIÈRE ?
É. V.: Nous mourrons de ne pas connaître les classiques. Notre histoire de l'art dramatique commence au XVIIe siècle, c'est là que tout se met en place. Comment peut-on interpréter un texte contemporain si on ne sait pas comment la langue française s'est constituée ? On ne peut inventer l'avenir que si on a une connaissance parfaite et sensible du passé. Il n'est pas question de "revisiter" les classiques. Il suffit de les découvrir. Il n'est pas question d'enlever la poussière : il n'y en a pas...
Au sujet de L'École, vous citez Jacques Lacan, pour qui Agnès est un être vivant à qui on a appris à parler, et qui articule.
É. V.: Au moment de Marion De lorme, lors d'une rencontre avec le public, Bernard NoËl a avoué son pessimisme extrême, et a ajouté : "si une chose peut sauver le monde, c'est la diction..." Les textes de Lacan autour de L'École comptent parmi les plus beaux que j'ai pu lire. Il raconte que l'École est le manifeste de la comédie classique, le sommet de la pyramide. Il explique aussi que la mort de la comédie classique, c'est le théâtre romantique, Victor Hugo. Et je viens de monter Marion De lorme, qui se situe au XVIIe siècle, au temps où naît le théâtre classique...
Au XVIIe siècle, CORNEILLE est le père de la tragédie classique. Et MOLIÈRE, avec L'École, devient le maître de la comédie classique. C'est de cette prise de position artistique et politique que naît la fameuse querelle de L'ÉCOLE DES FEMMES. Avec L'École, MOLIÈRE est à l'origine d'un nouveau monde.
Un monde sans RACINE...
É. V. : RACINE doit tout à MOLIÈRE. Mais il a créé un théâtre parfait, un triangle équilatéral. Et ce qui est parfait n'existe pas. Le théâtre de MOLIÈRE allie l'intelligence, le génie de la construction et le sentiment humain. Il ne peut pas être un concept. Il faillit, parce qu'il est humain. C'est l'histoire même d'Arnolphe, et c'est pourquoi il se retire à la fin de L'École.
Arnolphe est un humaniste du XVIlle siècle, il place l'homme au centre du monde. Il finira même par donner Agnès, sa propre création, au jeune Horace. Après avoir fait d'Agnès une femme, il fera d'Horace un homme. Il va au bout de son projet, et se retire. MOLIÈRE fait avec RACINE ce qu'Arnolphe fait avec Horace. Et Horace ne connaît pas le sentiment. Peut-être sait-il mieux raconter les histoires, mais il n'a pas de coeur. Horace est déjà un Dom Juan. Agnès sera bientôt Célimène.
L'ÉCOLE DES FEMMES est une matrice, elle contient toute l'oeuvre de MOLIÈRE.
Fichier attaché | Taille |
---|---|
La_Terrasse_Oct99_LEDF.pdf | 729.91 Ko |