Actualité de la scénographie · Décembre 2001 · LA BÊTE DANS LA JUNGLE

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Propos, Revue spécialisée
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Actualité de la scénographie

Décembre 2001 · Jean Chollet

Jean Chollet : La rencontre du spectacle passe par un cadre de scène courbe assez inhabituel, quelles sont les raisons de ce choix ?

Éric Vigner : Elles viennent de plusieurs domaines. Je souhaitais quelque chose qui soit de l'ordre du féminin, comme une trouée. J'ai été influencé par un appartement viennois, certaines peintures de Piero della Francesca, la mémoire de l'architecture des années 1920-1930, ou encore le cadre du Vieux Colombier avec les maquettes de Bérard. Je désirais rompre avec l'habitude du carré ou du rectangle pour changer le regard du spectateur.

J. C.: À partir de quelles lignes directrices s'est développée cette scénographie ?

É. V.: Sous une influence picturale, la pièce se présente comme une vision, un songe, avec sa part d'irréel. J'ai souhaité commencer par une image plate, sorte de degré zéro du théâtre, sans utiliser ce que l'on connaît de l'histoire de l'art du quattrocento à nos jours ou de celle du théâtre. Il m'a semblé intéressant d'introduire des fragments qui traversent l'existence, s'inscrivent dans la mémoire et composent la personnalité de chaque individu. Cela permettait de développer une dramaturgie autour de ce qui revenait en mémoire du spectateur. Quand on retrouve le souvenir, on commence d'une certaine façon à exister. Une manière aussi de rejoindre l'un des aspects de la pièce, puisque le personnage de John Marcher est celui de quelqu'un qui a oublié et se reconstruit petit à petit, en allant jusqu'au bout de lui-même.

J. C.: Le rideau de perles de bambou tient une place importante et introduit une lecture particulière du spectacle. Quelle est son origine et sa fonction ?

É. V. : Je ne tenais pas à utiliser les tulles déjà beaucoup employés, mais plutôt à placer le spectateur dans une position spéciale, active. Ce rideau, dès qu'il bouge, devient un objet concret, quelque chose comme un mur que le spectateur doit traverser dans une vibration optique. Un tulle n'aurait pas offert la même sensation. En même temps, cette idée m'a permis d'engager une réflexion sur ce qu'est l'image par rapport et autour d'un texte, d'une dramaturgie, des acteurs. Je voulais poser le statut de l'image. Qu'est-ce que l'illusion, qu'est-ce que la réalité. Mon processus tendait à créer une vibration permanente pour le spectateur, entre l'image censée être en deux dimensions et le théâtre qui est tridimensionnel. La question portait sur la manière de faire vibrer tout cela. L'image du paysage de Fragonnard qui figure sur le rideau agit comme une invitation à cette traversée. On la retrouve sur un tulle en fond de scène, couvert un temps par d'autres images, les tableaux de Van Dyck, qui constituent d'autres fragments d'images. Il s'établit ainsi un va-et-vient entre la réalité et l'illusion.

J.C. : Comment s'est structuré l'espace et ses nécessaires mutations ?

É.V. : Il fallait travailler sur toutes les dimensions, surtout dans ce théâtre qui se présente comme un grand couloir, sans dégagements sur les côtés. D'une certaine façon, l'arche du cadre, les colonnes à jardin et les paravents à cour étaient des moyens d'agrandir l'espace, de repousser les murs et donner l'illusion d'un espace immense. J'aime beaucoup travailler sur ces notions d'échelles, qui rejoignent l'expression de ma sensibilité à l'espace, fondée dans ma fréquentation de la peinture. Entre les colonnes de toile de jute non apprêtées à jardins et les paravents peints à cour, s'exprime la limite qu'il y a entre le châssis pour la peinture et le début d'une architecture. La transformation des espaces représente d'avantage que les changements de lieux de la pièce. Elle correspond essentiellement à l'évolution des rapports entre les personnages, à des changements d'atmosphère, pour refléter ce qui se passe dans le corps et la tête d'êtres qui inventent ou traversent des espaces imaginaires. Il s'agissait de contribuer à la représentation d'un paysage intérieur qui soit sensible au spectateur, et de maintenir le fil d'une rêverie dans une fluidité bénéfique entre ombre et lumière. L'espace se construit et se détruit, peuplé d'une multitude de fantômes.

J.C. : S'il fallait définir en un mot la globalité de cette création, quel serait-il ?

É.V. : Amour. Tout est fait pour le plaisir à travers les souvenirs, les chansons, la musique, et les éléments sonores qui traversent ce spectacle et reflètent une intimité dans laquelle se retrouve celle des autres. Je désirais rompre avec le monde formaté dans lequel nous vivons aujourd'hui.

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Sujet: 
Interview avec Éric Vigner, scénographe.
Date: 
Déc 2001
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