Préface · C'est en automne... · Traduire · Nicole Brette · REVIENS À TOI (ENCORE)

Préface · C'est en automne... · Traduire · Nicole Brette · REVIENS À TOI (ENCORE)
Préface de la traductrice : traduire
Texte
Nicole Brette
1994
Reviens à toi encore / Ambulance
Éditions Théâtrales
Langue: Français
Tous droits réservés

Préface

Nicole Brette (traductrice de Gregory MOTTON)

Un univers complexe, énigmatique, insolent et plein d'humour

C'est en automne que j'ai rencontré MOTTON. À l'automne 1987, je suis allée à Londres avec une idée très précise en tête : découvrir un jeune auteur de théâtre que j'aurais envie de traduire en français. Ambulance était à l'affiche du théâtre Royal Court où Osborne, Wesker et Bond, entre autres, ont été joués à leurs débuts. La pièce venait juste d'être créée dans la petite salle "Upstairs".

D'abord j'ai lu le manuscrit. Coup de coeur immédiat. C'est une impression curieuse que de pénétrer pour la première fois un univers dont on ne sait absolument rien. L'écriture de MOTTON se protège. Elle ne s'ouvre pas instantanément. Je me rappelle avoir fait plusieurs tentatives, avoir pris des chemins de traverse, fait des détours, pour soudain buter sur un obstacle infranchissable qui m'a obligée à faire demi-tour et à retourner à la case départ.

Cet obstacle, c'était une réplique d'ELLIS à JOHNNY : "C'est parce que nous sommes un peu comme cette viande qu'on voit suspendue chez le boucher, parce que vous pouvez fourrer votre main à l'intérieur de nous..." Cette phrase a eu sur moi l'effet d'un choc, ce qui m'a amenée à reprendre ma lecture au début avec un regard nouveau. C'est alors que j'ai pris conscience de la dimension de l'oeuvre et de la richesse de son écriture qui, précisément, permet des lectures différentes et donne au metteur en scène une grande liberté d'inspiration.
Ceci se vérifie aussi dans les pièce suivantes de MOTTON et c'est, me semble-t-il, la marque éclatante de son talent.

J'ai traduit ses pièces en très grande proximité avec lui, en passant des heures au téléphone, ou en face de lui souvent dans des gares (j'ai un souvenir bruyant de la gare de King's Cross à Londres et de la gare maritime de Calais). D'ailleurs sa connaissance du français s'est considérablement améliorée... Il me semble impossible de traduire ses textes sans son aide, et je me plais à imaginer ce que deviendront ses pièces au XXII e siècle... En effet, l'écriture de Motton est d'une concision extrême et elle recèle du mystère. Le plus important dans la traduction est donc de ne pas en dire plus en français qu'en anglais. De ce fait, le problème du tutoiement s'est posé avec acuité à plusieurs reprises. En anglais, l'auteur n'a pas à prendre parti puisque seule la forme You/vous existe.

Pour Reviens à toi (encore), j'avais d'abord imaginé que l'obligation d'introduire le tutoiement allait fendre le coeur de l'auteur. Mais il ne cherche pas à troubler le spectateur (ni le lecteur) il a été ravi que le choix du tu et du vous puisse apporter certains éclaircissements. Dans la 1ère et la 3eme scène par exemple, Abe raconte son mariage avec la Femme sombre. Des guillemets indiquent que quelqu'un d'autre parle par sa bouche : ses copains d'abord, puis des créanciers ou des huissiers, et même sa mère. Là le tutoiement apporte une information inexistante dans l'anglais. De même, plus tard, quand Abe et la Femme sombre jouent un véritable "jeu de rôles", les guillemets indiquent que le personnage n'est pas franchement sorti du jeu. Là, c'est le vouvoiement qui éclaire les choses. Ailleurs, notamment dans les deux dernières scènes, il s'est révélé impossible de choisir entre tu et vous, et il a fallu contourner le problème.

Ce qui m'a beaucoup frappée, juste après avoir traduit Ambulance, c'est la façon dont les divers lecteurs appréhendaient la pièce. J'ai montré cette traduction à un grand nombre de personnes, des gens de théâtre essentiellement. Le nom de Gregory Motton, qui avait 26 ans à l'époque, était totalement inconnu. Beaucoup y ont vu la "patte" d'un véritable auteur, mais la plupart ont émis des réserves sur ce qu'ils ressentaient comme la peinture d'un univers vraiment trop désespéré, mais c'est oublier en chemin l'humour, l'ironie, l'absurde, le cocasse, tout ce qui sous-tend fréquemment le tragique, le sordide ou le morbide. En ce qui me concerne, c'est je crois cette découverte du "cocasse", parfois évident, plus souvent en filigrane, qui m'a tout à la fois profondément touchée et séduite.

Le mot "cocasse" n'a pas, je pense, d'équivalent en anglais. Et je me demande si ce que nous appelons "cocasse" n'est pas de l'humour (mot typiquement "british") à la française. Après tout MOTTON a sûrement des ancêtres français, des ... MOUTON. C'est peut-être ce qui le rend plus proche de nous que de ses compatriotes.

Note :
Le texte français respecte la ponctuation originale écrite par l'auteur qui, par ailleurs, m'a dit un jour : "à quoi bon une virgule quand on peut avoir une parenthèse".