Télérama · 14 octobre 2009 · SEXTETT

Télérama · 14 octobre 2009 · SEXTETT
Le plaisir vient de la performance d'acteur parvient à faire oublier une certaine faiblesse du texte.
Presse nationale
Critique
Emmanuelle Bouchez
14 Oct 2009
Télérama
Langue: Français
Tous droits réservés

Télérama

14 oct 2009 · EMMANUELLE BOUCHEZ

Shaker à fantasmes

L'éducation érotico-sentimentale d'un jeune homme d'aujourd'hui. Une pièce félinienne où Micha Lescot rayonne.

Même effet panoramique en fond de scène : un ruban de tapisserie au look très 70's prolongé de deux immenses baies vitrées. Même personnage saisi quelques années après : Simon, garçon pressé mais toujours prompt à faire des phrases sur ses émotions. Même comédien trentenaire, Micha Lescot. Et mêmes auteur et metteur en scène complices : Rémi De Vos et Éric Vigner, à nouveau ensemble pour cette création, trois ans après un premier épisode Jusqu'à ce que la mort nous sépare...

En se lançant aujourd'hui dans Sextett, Lescot, De Vos et Vigner auraient-ils donc inventé un genre : le feuilleton théâtral ?
Soit un projet suivi où s'écrirait, d'une pièce l'autre, dans le même décor, l'histoire de l'éducation psycho-érotico-sentimentale d'un garçon d'aujourd'hui ? Oui. Avec un art précis de la fantaisie...

Le premier opus colorait d'une folie à la Feydeau une situation tragique : Simon, revenu chez sa mère le jour de l'enterrement de sa grand-mère, y jouait avec les débris de l'urne funéraire comme avec une patate chaude. Cette fois, c'est sa mère elle-même que Simon est venu enterrer. Et sa maison d'enfance, espace troué par l'absence, il la peuple peu à peu d'autres images...

Cinq créatures féminines dont les apparitions alternées (souvent musicales, entre Lieder de Schubert et Bossa-nova revisités) fondent sur lui pour un Sextett enlevé. Simon - Micha Lescot, la silhouette haut perchée dans son costume noir cintré, dansant avec ses chaussures vernies plus qu'il ne marche - résiste, non sans flancher avec volupté, à la pression. Lors de joutes étranges avec deux voisines chanteuses, avatars enfantins des comédies musicales (dont Maria de Medeiros, revenue à la scène, qui chante joliment a cappella), ou dans des course poursuites avec un travelo "collagéné" monté sur cothurnes, qui lui susurre le verbe "baiser" sur tous les tons... Le masculin et le féminin sont souvent mélangés dans cette pièce, shaker à fantasmes comme Fellini a pu l'oser au cinéma. Simon, héros finalement terrassé, provoque le rire. Mais, plus encore, le plaisir vient de la performance d'acteur. Dans une mise en scène calée pour lui et d'après lui, modulée sur le tempo de sa voix, Micha Lescot distille la moindre réplique avec distance et l'enracine dans la veine de l'absurde (Ionesco ou encore Dubillard... qu'a montés Éric Vigner à ses débuts). Il parvient même à faire oublier une certaine faiblesse du texte, à la fin, quand celui-ci s'applique à dénouer la situation plutôt qu'à continuer de jouer sur les mots.