Le Monde · 8 octobre 2009 · SEXTETT + LE DÉSIR EN TOUS SES ÉTATS

Le Monde · 8 octobre 2009 · SEXTETT + LE DÉSIR EN TOUS SES ÉTATS
Une comédie du désir qui sent le pétard.
Presse nationale
Critique
Brigitte Salino
08 Oct 2009
Le Monde
Langue: Français
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Le Monde

8 octobre 2009 · Brigitte Salino

Sextett de Rémi De Vos, une comédie du désir qui sent le pétard

De plus en plus souvent, les théâtres donnent un thème à leurs saisons. À Lorient, Éric Vigner, le directeur du Centre dramatique de Bretagne (CDDB), a opté pour le désir, ce qui ne mange pas de pain : le mot est si vaste qu'il peut s'accommoder de toute programmation. Mais quand il se décline dans tous ses états, l'affaire devient autrement intéressante. C'est le cas jusqu'au 9 octobre. Pour le lancement de la saison, trois spectacles sont proposés chaque soir. Ils sont courts, ce qui permet de les voir tous, et aussi différents dans leur contenu que dans leur forme. Le plus attendu, Sextett, sera repris au Théâtre du Rond-Point, à Paris, à partir du 15 octobre.

C'est une pièce de Rémi De Vos. Né en 1963, cet auteur associé au CDDB de Lorient a fait tous les petits boulots possibles avant de commencer à écrire, en 1995. Depuis, il n'arrête pas, et rien ne semble l'empêcher de faire entendre ce qui lui vient en tête, même le plus insensé, comme " C'est la première fois que ma mère meurt ", lâché par Simon, dans Sextett. Simon vient donc de perdre sa mère. Il était en train de négocier un important contrat pour son entreprise quand la nouvelle est tombée. Il est aussitôt parti. Le voilà dans la maison d'enfance, où il se retrouve cerné de femmes : Claire, une collègue avec qui il est venu, Blanche et Jane, les voisines dont la chienne, Walkyrie, vient de massacrer le jardin, et Sarah, la première fille avec qui il a fait l'amour. Toutes ces femmes sont foldingues : Sarah, qui ressemble à un tas de chair en latex, veut " baiser " Simon. Blanche et Jane, des lesbiennes qui s'insultent en anglais, veulent lui chanter du Schubert pour le dédommager des dégâts occasionnés par Walkyrie, leur chienne qui parle et bave de jouissance quand Simon la caresse. Quant à Claire, elle attend que Simon lui fasse un enfant. Il en perd la tête et tombe d'une crise d'apoplexie quand il apprend que sa mère est... son père. Nous ne dirons pas comment. C'est tout l'enjeu de cette pièce qu'Éric Vigner met en scène comme une fantaisie musicale.

Avec raison : Sextett est une comédie qui sent le pétard. Elle part dans tous les sens, change de registre, manque d'envergure. Mais elle témoigne du désir diffus, quasi transsexuel, et des interrogations des gens de la génération De Vos : peut-on tomber amoureux le jour de l'enterrement de sa mère ? A ce jeu-là, Micha Lescot est une fois de plus éblouissant. C'est lui qui joue Simon. Il promène sur scène sa silhouette aux jambes si grandes qu'elles semblent avancer toutes seules, glissant parfois sur le sol, d'une manière irrésistible. À sa nonchalance affichée, les filles opposent une certitude de castagneuses parodiant les codes des feuilletons et des shows télévisés. Elles sont épatantes. Parmi elle, il y a Maria de Medeiros, qui revient au théâtre et chante du fado.

Scott Turner Schofield, lui, chante Joyeux anniversaire. C'est un homme, né femme. Il était assistant d'Éric Vigner pour la mise en scène d'In the solitude of Cotton Fields (Dans la solitude des champs de coton), de Bernard-Marie Koltès, à Atlanta, en 2008 ; un spectacle qui a inspiré au réalisateur Othello Vilgard un film à voir comme une rêverie en noir et blanc sur le désir masculin. Dans Becoming a Man in 127 Easy Steps, Scott Turner Schofield livre son histoire, écrite sur son corps qu'il livre nu : des seins et un sexe féminins, des hanches, une allure et un torse masculins, renforcés par les hormones qui ont changé sa voix et affirmé la mâchoire de son visage.À lui seul, ce corps répond à Sextett : il dit que le désir est affaire de chair et de regard. Et qu'il ne saurait se contenter de mots.