Dernières Nouvelles d'Alsace · 15 février 2013 · GUANTANAMO

Dernières Nouvelles d'Alsace · 15 février 2013 · GUANTANAMO
La parole produite souligne l'extrême fragilité des mots (qui dit vrai ?) et du cheminement d'une vie. Matière à réflexion.
Presse régionale
Critique
Christine Zimmer
15 Feb 2013
Dernières Nouvelles d'Alsace
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Dernières Nouvelles d'Alsace

15 février 2013 · CHRISTINE ZIMMER


"Quelques questions à vous poser..."

Éric Vigner (Théâtre de Lorient) et son Académie plongent dans l'histoire contemporaine avec Guantanamo de Frank Smith.

Les tables sont disposées en demi-cercle, des micros courbent l'échine à chaque place. Des parallélépipèdes en bois servent de chaises. Un propos introductif ancre Guantanamo, pièce de fiction de Frank Smith tirée de faits réels, dans l'histoire contemporaine. "Nous allons vous poser quelques questions, afin de mieux comprendre votre histoire". Et commence une circulation des membres de la commission d'enquête autour des bureaux dans un ballet de dossiers feuilletés, consultés, fermés, rouverts, repliés, renouvelés, refermés, remplacés, rouverts, replacés.
La voix de l'interrogatrice se veut calme, posée, explicite, et tourne toujours autour du même sujet : que faisiez-vous en Afghanistan pourquoi n'avez-vous plus votre passeport, pourquoi avez-vous parlé à telle personne, avez-vous collaboré avec les Talibans ou al-Qaïda ? Suspension de séance, redisposition des dossiers et de ceux qui incarnent la commission d'enquête. Redistribution des rôles. Chacun lit en alternance des questions et des réponses sans identité dévolue d'interrogateur ou d'interrogé. "On demande", "on répond". On parle parfois en arabe, en allemand, en anglais. Tout un va-et-vient se met en place, certains lisent des dossiers, écoutent ce qui est échangé sans que rien n'avance. "Ce que je voulais approcher par l'écriture, c'est l'irréductible, la part humaine dans l'homme",
a écrit Frank Smith, l'auteur de la pièce. On change une nouvelle fois de place, la voix du questionneur reste toujours égale, insistante, orientée, celle des questionnés parfois s'emporte, mais rarement. Inlassablement les preuves échappent, les préoccupations se disent quotidiennes, celle de la survie (s'occuper de sa famille, travailler la terre d'un potager, suivre le bétail, trouver un emploi, enseigner le Coran). Le plus souvent on est démuni de passeport, confié à on-ne-sait-qui. Parfois un membre de la commission d'enquête va boire au fond à la fontaine d'eau. Et puis la lumière se fait sur les spectateurs qui ainsi ferment le demi-cercle des tables des enquêteurs.
La parole produite souligne l'extrême fragilité des mots (qui dit vrai ?) et du cheminement d'une vie. Matière à réflexion.