Le Télégramme · 03 Avril 2013 · L'Académie

Le Télégramme · 03 Avril 2013 · L'Académie
Bilan de 3 ans pour 7 comédiens.
Presse régionale
Avant-papier
Isabelle Nivet
03 Apr 2013
Le Télégramme
Langue: Français
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Le Télégramme

03 Avril 2013 · Isabelle Nivet

Théâtre · Les derniers bords de l'Académie

Dernières longueurs pour l'Académie de théâtre d' Éric Vigner, créée avec de jeunes comédiens d'origine étrangère, il y a trois ans. Après une tournée de presque 200 dates dans 30 villes et un festival, celui d'Avignon, ils jouent encore aujourd'hui, dans L'Histoire du soldat,de Stravinskyet Ramuz, en compagnie de sept musiciens de l'Orchestre Symphonique de Bretagne. Demain, une soirée projection-débat sera consacrée au documentaire D'où tu viens, sur le travail d' Éric Vigneravec les sept acteurs, que nous avons rencontré un par un.

Lahcen : "Un vecteur qui accélère les rencontres"

Meilleur souvenir à Lorient.La rencontre avec Éric. Travailler avec lui. J'avais toujours rêvé de travailler un texte au plus proche, de façon intime, comme un joueur de foot sur le terrain... J'ai commencé le théâtre en profondeur. Quand je suis arrivé à Avignon, je ne connaissais rien du tout.
Bilan des trois ans.Tout a changé. Ma perception du théâtre est différente, je le regarde autrement. J'avais un œil innocent, aujourd'hui j'ai un bagage, qui m'a été donné par Éric. J'ai appris le travail, la rigueur, le sérieux, la prépàration. Un art du spectacle actif. On est devenus professionnels, on est pris en considération. J'aimais beaucoup le cinéma, mais le théâtre, c'est quelque chose qui se vit. Savoir comment les gens perçoivent le spectacle, j'aime beaucoup ça, ce partage. Cette profondeur, ces points de vue à entendre... Le théâtre c'est un vecteur qui accélère les rencontres.
Après l'Académie.Continuer à tourner, à jouer, à rencontrer le public. Refaire Avignon. Retravailler avec Éric. Faire du théâtre à texte, des choix militants à partager, quelque chose qui ne plaira pas forcément à tout le monde... Mais que je donne et transpire sur scène, que je souffre en tant que comédien !

Hyunjoo : "Beaucoup d'indulgence et de générosité"  gence, de générosité, de curiosité.

Meilleur souvenir à Lorient.Le 3 octobre, il y a trois ans, la première de la Place Royale. Un début fort. Le souvenir le plus intense : plein d'excitation, d'incertitudes, le trac à mourir et en même temps très heureuse. Ici, je me suis sentie chez moi : ça m'a rappelé la Corée. Tout détruit. Des souvenirs imaginaires, presqu'une blessure. Des gens qui ont vécu un moment difficile. À Lorient, ça a été très fort, les gens ont montré beaucoup d'indulgence, de générosité, de curiosité.
Bilan des trois ans.Des rencontres très riches dans toute la France. Un cadeau incroyable : le public et ses réactions. Je ne savais pas à quel point j'aimais les gens, j'étais étonnée ! Professionnellement, j'ai appris comment travailler l'alexandrin, comment analyser, puis faire entendre. Je n'ai pas terminé ! Mon premier vers " Me vouloir prescrire une trop dure loi", je ne l'ai toujours pas compris ! Je l'avais tout le temps avec moi, comme une méditation à la japonaise, c'était incroyable et désespérant. 
Après l'Académie.Le travail du texte, c'est une grande partie du théâtre français : comment dire et faire voyager le public à travers cette parole de l'auteur ? J'ai très envie de continuer à défendre des auteurs sur scène. C'est un défi compliqué, mais je commence à apprendre à poser une voix, j'ai trouvé une sorte de paix avec ça, une maturité. J'aime la langue française, l'association littérature et théâtre. 

Tommy : "Établir une relation avec une ville... "

Meilleur souvenir à Lorient.La première de la Place Royale. Et La Faculté, revenir jouer ici. Et la première de Il est difficile d'attraper un chat noir... (adaptation d'un livre de Christophe Honoré). Beaucoup d'émotions avec le public. C'est long et rare d'établir une relation avec des gens, avec une ville...
Bilan des trois ans.Ça a déplacé des choses, bougé des lignes. Je pense les choses différemment. Un groupe, c'est comme un petit monde, une microsociété, on y apprend des choses. Sur le travail lui-même, on a fait un saut en avant rapide. On a appris en faisant. Ce n'est pas abstrait du tout. Ça m'a permis de savoir ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. J'étais parti pour être assistant à la mise en scène et je me suis retrouvé acteur. Je ne le regrette pas du tout. Aujourd'hui, c'est comme si j'avais compris ce que c'était le jeu. Les choses sont en train de naître. Tout ce que je croyais savoir est remis en question.
Après l'Académie.J'ai hâte d'aller plus loin avec la mise en scène, développer mon esthétique, un mélange de jeu théâtral et d'image, lancer de nouveaux projets, construire une carrière, une identité, une équipe, une compagnie... Tout est à inventer ! Pour ça, il faut anticiper, s'accrocher, trouver des partenaires, rentrer dans le lard ! 

Nico : "La mer à côté, j'ai toujours souhaité ça"

Meilleur souvenir à Lorient.La pêche en Bretagne ! À Lomener, sur la digue, avec les cannes, jusqu'à minuit... Sur les plages, tout le temps. J'habitais à Larmor. La mer à côté, j'ai toujours souhaité ça. La découverte de Groix, de la nature bretonne... L'identité du territoire et d'Éric, ça a joué. Ça influence le mode d'être. Éric est assodé à la Bretagne.
Bilan des trois ans.Une deuxième formation théâtrale : j'ai appris à bien me servir de ma voix. Le théâtre d'Éric, basé sur les mots, le texte, m'a vraiment aidé à découvrir ça. Les possibilités de la voix, les différentes hauteurs, la puissance que ça donne... Et puis la grande tournée, ce luxe de pouvoir jouer autant... À force, on a appris à être capable de jouer dans des circonstances différentes, dans le stress, les voyages. Être capable de rassembler la concentration nécessaire pour donner une représentation, même en étant malade, pas complètement concentré, ou en s'étant engueulés avant. Donner quand même. Ne plus être sensible aux éléments extérieurs.
Après l'Académie.Je voudrais essayer de continuer le théâtre et le cinéma, ce sont deux métiers qui se complètent. Et puis, je n'ai jamais fait de théâtre dans ma langue maternelle, l'allemand, j'aimerais voir ce que ça donne...

Vlad : "Être comédien, c'est tout laisser, se libérer"

Meilleur souvenir à Lorient.Au tout début. Une des premières fois où on s'est retrouvés tous ensemble, pour faire la fête dans la maison qu'on habitait, "la maison bretonne". On se rencontrait, on se parlait. Je crois qu'on est allés nager dans la nuit. C'était très léger, et ça l'est toujours. C'était très beau d'apprendre à se connaître.
Bilan des trois ans.J'ai appris ce que c'est d'être comédien, même si on ne sait jamais vraiment. J'avais toutes sortes de peurs et d'angoisses que je ne comprenais pas, et l'Académie m'a aidé à dépasser des limites, des choses à l'intérieur de moi. Être comédien, c'est tout laisser, se libérer et jouer, et moi, mon cerveau fonctionne tout le temps. Éric me disait " Je vois que tu penses". Et il faut arrêter de penser "Est-ce que je suis au bon endroit ?". Il faut juste agir.
Après l'Académie.J'ai accepté d'être comédien uniquement parce que c'était avec Éric. Parce que ce que je veux faire, c'est de la mise en scène. En avril, je présente Tic Tac, que j'ai commencé à écrire il y a deux ans, et pour lequel Éric m'a donné une carte blanche. Après, je ne sais pas si je vais rester en France ou ailleurs. Peut-être travailler en anglais, parce qu'écrire en français, c'est complexe.

Eye : "Envie d'entrer à la Comédie-Francaise !"

Meilleur souvenir à Lorient.La première fois où on s'est rendu compte qu'on allait travailler, trois ans ensemble. C'était super-émouvant, ce qui se passait entre nous. Et la première fois où je suis arrivée à Lorient. Je rentrais de deux mois en Espagne et j'avais faim. C'est là que je me suis reconnectée avec la nourriture française, qui est quand même la meilleure nourriture du monde !
Bilan des trois ans.On a fait une grosse tournée, avec une centaine de dates, et on n'est pas revenus ici avec le même poids. La pression n'est plus la même, l'assise non plus : quand on revient, on se sent plus fort, plus solide. Et puis on a découvert des gens, des régions, le monde du spectacle et des théâtres...
Après l'Académie.Ça m'a donné envie de travailler les classiques. Et même de rentrer à la Comédie-Française, comme pensionnaire ! Des classiques, j'en avais lu, mais je n'avais jamais travaillé la langue, et c'est vraiment un plaisir. Je trouve ça sublime. Quand c'est bien écrit, ça existe tout de suite, et tout seul. C'est un défi de lire ça et se l'approprier, de ne pas jouer par dessus, pour ne pas l'écraser. Le texte est plus fort que moi, comment je fais ? 

Isaïe : "La transmission, un échange complet"

Meilleur souvenir à Lorient.La première arrivée à Lorient. Je suis allé sur la plage avec Éric pour discuter. La découverte de la ville. Avec les autres, on a vécu longtemps à Fort-Bloqué. Courir, la mer, un bel espace pour travailler au calme, c'était génial. Et la découverte du stade ! Je n'y étais jamais allé avant... Et le lieu, le théâtre. Et le théâtre d'Éric, les livres, les photos... Il garde tout ! Dès le début, on a senti qu'on était dans quelque chose de très gros, et d'unique.
Bilan des trois ans.L'Académie, c'est un espace de transmission, et Éric l'a fait pour ça. J'y ai reçu une autonomie d'artiste, fait beaucoup de rencontres. J'ai donné des ateliers de théâtre avec des lycéens, et ça, j'ai découvert que c'était un plaisir inouï de transmettre. Il n'y a pas de meilleure école que la transmission, c'est un échange complet, dans les deux sens.
Après l'Académie.D'autres envies sont nées, comme celle de réaliser, un jour. Mais pour l'instant, j'ai toujours autant envie de jouer, et de continuer à apprendre, lire, même peut-être refaire des études. Comme dit Penny Arcade "Être un élève toute sa vie... Les choses ne viennent pas DE toi. Ça passe PAR toi".