Le Devoir · 10 octobre 2009 · SEXTETT

Le Devoir · 10 octobre 2009 · SEXTETT
Créer des images sur lesquelles chaque spectateur peut projeter sa propre sensibilité.
Presse internationale
Avant-papier
Alexandre Cadieux
10 Oct 2009
Le Devoir
Langue: Français
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Théâtre - Histoires de désir

10 octobre 2009 · Alexandre Cadieux

Quelque part en Bretagne, Éric Vigner et Ginette Noiseux écrivent un nouveau chapitre de leur aventure théâtrale commune autour d'un texte de Rémi de Vos.

Dans l'espace matriciel que représente la maison de la mère qui vient de mourir, un jeune homme est confronté à des présences féminines, réelles ou fantasmées, qui le confrontent à son identité, à ses aspirations, à ses désirs. Difficile de résumer avec plus de précision la fable de Sextett; tenter de cerner tous les tenants et aboutissants de cette plongée dans l'inconscient nécessiterait une série d'interprétations personnelles qui réduiraient considérablement le nombre de lectures possibles de la pièce du dramaturge Rémi de Vos. La première mondiale a eu lieu lundi soir dernier au Grand Théâtre de Lorient (Bretagne) et, après un passage de plusieurs semaines au Théâtre du Rond-Point à Paris, la coproduction franco-québécoise débarquera à l'Espace Go en janvier.

"Ce qui m'intéresse ici, raconte le metteur en scène Éric Vigner, n'est pas de tâcher de révéler le sens de l'oeuvre, mais bien de créer des images sur lesquelles chaque spectateur peut projeter sa propre sensibilité." Lors de son dernier passage à Montréal en 2007, le Breton d'origine tenait le même discours au sujet de Savannah Bay, le texte de Marguerite Duras qu'il avait monté à la Comédie-Française et qu'il reprenait chez nous avec deux actrices québécoises, Françoise Faucher et Marie-France Lambert. En 2003, c'est également avec un texte de Duras, soit son adaptation de La Bête dans la jungle d'après Henry James, que Vigner avait effectué sa première visite à l'Espace Go.

Échanges

En 1996, lorsque Ginette Noiseux a découvert son travail grâce à sa version du Bajazet de Racine au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris, le metteur en scène et scénographe venait d'être nommé à la tête du CDDB-Théâtre de Lorient, un ancien cinéma d'un peu plus de 300 places alors étiqueté "centre dramatique régional". Six ans plus tard, le CDDB a obtenu le titre de centre dramatique national, un statut juridique particulier accordé par l'État français depuis 1946 dans le cadre de son entreprise de décentralisation culturelle; depuis lors, l'organisme gère également toute la programmation théâtrale du Grand Théâtre, magnifique bâtiment de 1050 places construit en 2003.

La ville de Lorient, fondée par Colbert en 1664, servait à l'origine de point de départ pour les navires de la Compagnie des Indes; les mystères et beautés de l'Orient continuent d'exercer leur attrait sur la ville bretonne d'environ 60 000 habitants. Bénédicte Vigner, directrice artistique du CDDB, raconte qu'en 2004, lors des représentations du Bourgeois gentilhomme d'abord créé à Séoul par son frère Éric avec les acteurs, chanteurs et danseurs du Théâtre national de Corée, c'est tout Lorient qui vibrait: "L'hymne national coréen jouait dans les rues; nous avons fait salle comble plusieurs fois au Grand Théâtre, attirant plus de 5000 spectateurs pour un spectacle en coréen avec surtitres français !"

Si le personnage de Simon, figure centrale de Sextett, se voit invité de toutes parts à céder à ses fantasmes, les créateurs du spectacle ont dû, pour leur part, déployer de nombreux efforts afin de mener à terme cette autre histoire de désir qu'est la coproduction elle-même. Si Vigner et Noiseux n'en sont pas à leur première aventure ensemble, il faut mentionner que l'auteur Rémi de Vos, en résidence à Lorient depuis quelques années, a déjà collaboré, lui aussi, avec le metteur en scène sur un certain nombre de projets. Il a été convié cette fois-ci à écrire pour une distribution internationale de haut vol: un acteur et une actrice français d'origine juive, Micha Lescot et Johanna Nizard, les Québécoises Marie-France Lambert et Anne-Marie Cadieux, l'Autrichienne Jutta Johanna Weiss et la Portugaise Maria de Medeiros, amie de longue date d'Éric Vigner, connue notamment pour ses rôles au grand écran (Henry & June, Pulp Fiction, Le Polygraphe) et pour son engagement politique.

"Sextett tourne autour d'un homme de trente ans qui se mesure à une galerie de femmes plus grandes que nature, un cadeau que nous fait Rémi l'année où nous fêtons les trente ans de l'Espace Go; j'aime croire qu'il n'y a pas de hasard", souligne avec un sourire malicieux Ginette Noiseux. Celle qui a essuyé bon nombre de critiques au cours de son directorat de plus de vingt-cinq ans à la tête de l'Espace Go continue de croire en la mission de son théâtre, qui s'articule autour de quelques grands axes comme la dramaturgie de langue française contemporaine, le travail des femmes et la mise sur pied de partenariats à long terme avec des artistes ou d'autres compagnies.

Ainsi, ces dernières années, l'Espace Go a reçu plusieurs troupes françaises novatrices, comme la Compagnie Louis Brouillard de Joël Pommerat (Cet enfant) et le duo auteur-metteur en scène formé d'Olivier Cadiot et de Ludovic Lagarde (Fairy Queen). "Je souhaite créer un attachement du public québécois pour ces artistes-là, une curiosité pour ce qui se fait ailleurs, et c'est une chose qui se construit dans la durée", déclare Noiseux. L'objectif d'inclure chaque année un spectacle étranger dans la programmation tient par contre parfois de l'impossible pari: le gouvernement fédéral, surtout depuis les compressions de l'année dernière dans les sommes allouées à la circulation des oeuvres canadiennes dans le monde, ne soutient presque jamais les échanges internationaux comme la coproduction de Sextett.

"Nous avons un excellent dialogue avec les gens de Culturesfrance, qui doivent eux aussi composer avec des règles qui changent constamment: les procédures auxquelles on les soumet s'américanisent; on sent qu'un certain protectionnisme s'installe et, pourtant, ils continuent à déployer des efforts considérables, analyse Ginette Noiseux. Culturesfrance soutient beaucoup plus la venue de spectacles québécois en France, notamment dans le domaine du théâtre jeunes publics, que ce que Québec peut investir dans la venue de spectacles étrangers chez nous. Si Wajdi Mouawad est désormais un artiste aussi connu en Europe, c'est entre autres parce que des gens ont cru en son travail et l'ont invité à venir se produire en France."

Le public montréalais pourra découvrir Sextett, à partir du 12 janvier 2010, à l'Espace Go. Nous aurons alors l'occasion de reparler de cette déroutante comédie aux accents à la fois sulfureux et absurdes, fruit d'une histoire d'amour entre des artistes engagés dans des voies concordantes.

Collaborateur du Devoir