Télérama · Juin 1985 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Télérama · Juin 1985 · LA PLUIE D'ÉTÉ
LES ENFANTS, film réalisé par MARGUERITE DURAS 1985
Dramaturgie
Joshka Schidlow
Jun 1985
Télérama
Langue: Français
Tous droits réservés

TELERAMA

Juin 1985 · JOSHKA SCHIDLOW

LES ENFANTS · Le "Candide" de Marguerite Duras

Pourquoi retourner à l'école quand on y apprend des choses que l'on ne sait pas ? Grand numéro d'ironie de Marguerite Duras. Et superbe numéro d'actrice d'une grande dame du théâtre, Tatiana Moukhine, comédienne mystérieuse et bouleversante.

Français (1 h 30). Réal. : Marguerite Duras, avec Axel Bogousslavsky, Tatiana Moukhine, Daniel Gélin, André Dussolier, Martine Chevalier, Pierre Arditi.

À sept ans, Emesto a le physique d'un intellectuel de quarante ans. Quand s'ouvre le film, il annonce à sa mère (l'émouvante Tatiana Moukhine) qu'il ne retournera jamais à l'école, où il a ce jour-là fait son entrée, car explique-t-il avec sa diction de petit garçon: "On y apprend des choses que je ne sais pas".

Inquiets de cette décision, les parents se rendent chez le directeur de l'établissement qui convoque "l'enfant" et ne peut que s'incliner devant la justesse de ses arguments. En l'espace de quelques mois, Ernesto fera le plein des connaissances universelles puis, tel un vieux philosophe qui renonce au monde, disparaîtra. Sa soeur jumelle, image de l'amour absolu, l'accompagnera.

Avec une ironie dont on ne la savait pas douée, Marguerite Duras, épaulée par Jean-Marc Turine et Jean Mascolo, son fils, dénonce l'inanité de nos sciences et l'ineptie de nos méthodes d'enseignement. Ernesto sait d'instinct qu'il n'y a rien à apprendre, que la sagesse se puise dans les gestes simples et dans la contemplation d'un arbre. Quand un journaliste un peu agité (Pierre Arditi en parfaite tête à claques) vient l'interviewer, il trouve la meilleure réponse à ses questions en l'invitant à éplucher avec lui et les siens quelques kilos de pommes de terre.

Des visions du bout de jardin du pavillon où vit l'enfant atteint de précocité viennent fréquemment entrecouper les tête-à-tête, réunions de famille ou entretiens avec des"curieux". Comme pour rappeler qu'il suffit de franchir le seuil de la maison et d'abandonner les discussions oiseuses pour se retrouver en paradis.

Avec sa tête de vieil adolescent, Axel Bogousslavsky est un Ernesto qui n'aurait pas déplu à Bunuel. Son personnage semble d'ailleurs tout droit jailli de l'insolite bestiaire humain créé par l'auteur du Chien andalou. Entourant cet acteur inclassable, Tatiana Moukhine et Daniel Gélin, en parents dépassés par les événements, et André Dussolier, en enseignant éberlué par la sérénité de vieillard de son élève, sont prodigieux de poésie loufoque.

Les Enfants est une fable philosophique qui évoque par sa drôlerie et son acuité le Candide de Voltaire. Comme cette oeuvre classique, elle remet les pendules à l'heure de la Vérité. De même que le rire inattendu de Garbo dans Ninotchka attisa sa légende, Duras, réputée pour ses élégies amoureuses et son cinéma de laboratoire, va déconcerter et éblouir tous ceux qui, en découvrant Les Enfants, se surprendront à rire aux anges.