L'Express Magazine · 6 juillet 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA

L'Express Magazine · 6 juillet 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA
Une tendre histoire d'amitié immédiate et naturelle.
Presse nationale
Avant-papier
06 Jul 2006
L'Express Magazine
Langue: Français
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L'Express Magazine

6 juillet 2006

Marguerite mon amour

Dans le train qui le conduit à Trouville, par une chaude et pluvieuse matinée de juin 1993, ÉRIC VIGNER n'en mène pas large. Metteur en scène débutant, il a rendez-vous aux Roches noires avec MARGUERITE DURAS en personne. En face de lui, François Regnault, dramaturge du théâtre de la Commune d'Aubervilliers - où ÉRIC s'apprête à présenter LA PLUIE D'ÉTÉ avec des élèves du conservatoire - se tait lui aussi. Il y a quelque chose de rêveur dans l'air et une petite boule d'angoisse qui tient chaud au ventre. "On a sonné à l'appartement 21, raconte ÉRIC VIGNER. François est entré le premier. Elle l'a embrassé en me regardant dans son dos. Et elle a dit: ""Lui, je le reconnais.''"

Commence aussitôt entre le jeune homme et la vieille dame une tendre histoire d'amitié immédiate et naturelle, partagée avec Bénédicte, la soeur d'ÉRIC, qui l'initia à la lecture durassienne. De là naîtront la production de La Bête dans la jungle, de Henry James, en 2001, dans une adaptation de DURAS, et celle de Savannah Bay, entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2002. Mais, pour le moment, DURAS est là, telle qu'en elle-même, en jupe écossaise et pull rouge. Son ami, Yann Andréa, sert le vin blanc; François Regnault pose des questions à Marguerite, qui pose des questions à ÉRIC, lequel apparaît clairement envoûté, tandis que le magnétophone fait des siennes.

Plus tard, appuyant sur le bouton de l'ascenseur à l'heure d'aller déjeuner, ÉRIC demandera innocemment: "Sous-sol?" "Tu aurais peur?", répondra la dame. "Je crois que j'ai rougi. C'était une séductrice", dit-il. Puis il y aura une virée en voiture dans la campagne normande, des rires, un bonheur qui débouchera, quelque temps après, sur un don magnifique. "Un jour, au Conquet, elle m'a dit: ""Qu'est-ce que tu veux? Le Square? Les Eaux et forêts? '' J'ai dit: ""Non. Je veux les droits de HIROSHIMA MON AMOUR.'' Avec Marguerite, on s'est aimés tout de suite. On était du même monde, on se connaissait depuis toujours. Sa voix, ce raclement dû à la trachéotomie, ne m'apeurait pas. Il m'émouvait, au contraire. Moi, j'étais juste un débutant qui faisait du théâtre contemporain avec ses textes, et ça me faisait rire. On était bien loin de l'imaginaire collectif durassien!"

De fait, sur la scène du Conservatoire national, où des amas de pommes de terre figuraient des continents au bord de grands trous, VIGNER fait jouer LA PLUIE D'ÉTÉ, ou l'histoire d'Ernesto, qui ne veut plus aller à l'école, parce que, "à l'école, on lui apprend ce qu'il ne sait pas". Dans la loge d'honneur, Marguerite applaudit les comédiens, qu'elle nomme "les enfants". Plus tard, elle ira revoir la pièce à Brest et finira la soirée dans les quartiers à marins de la ville, du côté de la rue de Siam. Dix ans après sa mort, ÉRIC présente PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA. Entre le débutant ébloui et l'artiste accompli, entre LA PLUIE D'ÉTÉ et HIROSHIMA MON AMOUR, le lien est fait. Et la promesse, enfin tenue.