Dernières Nouvelles d'Alsace · 4 février 1995 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Dernières Nouvelles d'Alsace · 4 février 1995 · LA PLUIE D'ÉTÉ
ÉRIC VIGNER a intimement saisi l'écriture durassienne.
Presse régionale
Critique
Chloé Hunzinger
04 Feb 1995
Dernières Nouvelles d'Alsace
Langue: Français
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Dernières Nouvelles d'Alsace

4 février 1995 · Chloé Hunzinger

La Compagnie Suzanne M. joue LA PLUIE DÉTÉ, remarquable adaptation d'un texte de DURAS par ÉRIC VIGNER. Jubilatoire.

ÉRIC VIGNER, nommé à la direction du Centre dramatique régional de Lorient, a le goût de la scénographie. Ce plasticien (il a fait les BeauxArts) a conçu lui-même, avec l'aide de Claude Chestier, le décor de LA PLUIE DÉTÉ. Presqu'un trompe-l'oeil: on croirait un jardin zen avec bassins et galets, alors qu'en réalité ce sont des trappes et...des pommes de terre ! Un décor à l'image du spectacle même, né d'un atelier au Conservatoire, drôle et beau, qui offre tout simplement un moment de grâce. L'harmonie caractérise, en effet, l'art et la manière de ce jeune metteur en scène qui ne révolutionne pas le plateau, mais reste au plus près de l'auteur, servant son texte avec subtilité et finesse. D'entrée, on est sùr qu'ÉRIC VIGNER a intimement saisi l'écriture durassienne.

Entre roman et théâtre

C'est l'histoire d'une famille d'immigrés de Vitry-sur-Seine, avec sept enfants - et surtout un aîné, Ernesto, bien différent, qui a décidé un jour de ne plus aller à l'école parce qu'"on y apprend des choses que je ne sais pas". Que ressentent les proches?

"Cet enfant, mais qu'est-ce que c'est? D'où ça sort, un truc pareil", s'interroge le père. LA PLUIE DÉTÉ nous dit des choses essentielles sur l'innocence confrontée au savoir. Ni commentaire distancié, ni illustration naturaliste: Éric Vigner évite tous les pièges, tous les clichés. Les immigrés, si justes dans leurs habits de fere. échappent à la caricature. L'amour brùlant d'Ernesto pour Jeanne, sa soeur, n'est jamais racoleur; il est suggéré - laissant deviner toute son intensité.

La direction d'acteur est d'une belle précision, elle aussi: les acteurs y sont tous justes. Ils n'ont pas l'âge de leurs rôles ? Cela n'a aucune importance. Hélène Babu, en mère slave et tragédienne, compose son personnage avec une sensibilité majestueuse. Philippe Metro, père bouffon, plus enfant que ses propres enfants, est profondément émouvant. Jean-Baptiste Sastre, quant à lui, ne joue pas Ernesto, il incarne son personnage d'une grande douceur et innocence, avec mille nuances.

A partir de ce livre composé de scènes dialoguées et de passages narratifs, ÉRIC VIGNER a choisi une mise en scène balançant entre roman et théâtre, n'oubliant jamais le point de vue de DURAS ("Le jeu enlève au texte"). De la lecture, avec lumières dans la salle, on entre doucement, pendant que l'éclairage se fait plus intime, dans le monde du théâtre. Et lorsque la magie s'interrompt, on sort comblé d'un spectacle délicieux, intelligent, profondément inspiré.