Le Télégramme · 3 juin 2000 · L'ÉCOLE DES FEMMES

Le Télégramme · 3 juin 2000 · L'ÉCOLE DES FEMMES
La réalisation de ce superbe spectacle tient de la magie et de l'amour.
Presse régionale
Critique
Jean-Louis Le Goff
03 Jun 2000
Le Télégramme
Langue: Français
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Le Télégramme

3 juin 2000 · JEAN-LOUIS LE GOFF

L'École des femmes : un spectacle habité

MOLIÈRE a honoré le Théâtre de Lorient de la présence peu commune de sa langue et de son génie, quand de grands comédiens portés par une mise en scène éblouissante font jaillir le génie et frémir le coeur. Une École des femmes pas comme les autres.

Posé là le premier, le décor de Claude Chestier semble comme généré par la salle elle-même, sobre et luxuriant, chaleur des boiseries, aérées comme la demeure d'un maître Zen, espace sculpté en plans et en profondeurs pour déplacements aériens. Et toute la maîtrise de la Comédie-Française s'exprime en quelques pas, anime les acteurs pour un voyage dans l'imaginaire passionné d'un auteur et le regard que lui porte un metteur en scène.

Arnolphe a recueilli à l'âge de quatre ans la petite Agnès abandonnée. Il va en faire une épouse à sa main, sans les travers qu'il attribue d'habitude aux femmes. Il construit son univers de mâle craintif de la supériorité et de l'arrogance qu'il prête au beau sexe en apprenant à Agnès à être idiote, tenue à l'écart du monde. MOLIÈRE procède à un minutieux examen des arguments les plus fallacieux et de leurs contraires.

Magie et amour

Mais voilà, l'amour va se mêler de la partie et faire du cynique Arnolphe un personnage poignant et tendre, dès qu'il sait que tout va lui échapper, la jeunesse et la beauté de son aimée, rattrapé par la réalité.

L'interprétation fait jaillir la joie du jeu. Le choix de diction développé depuis plusieurs spectacles par ÉRIC VIGNER atteint ici son apogée. Chaque mot pèse le poids de son sens, et du coup, comme l'exprime la comédienne Catherine Samie, les comédiens, tous magnifiques, sortent d'eux-mêmes de quoi faire exister au-delà des mots des personnages pour un instant incarnés, mais avec l'existence particulière que procure le théâtre. À la fois authentiques et fictifs.

La réalisation de ce superbe spectacle tient de la magie et de l'amour. Magie du génie d'un auteur et du talent d'une équipe, amour qui extirpe dans la beauté l'espérance, les rires et les pleurs, amour du métier d'acteur qui élève ceux qui le connaissent, amour dans le regard d'un metteur en scène qui voue son existence à composer les images les plus poétiques qu'il imagine, amour du public et de son humanité profonde sans qui tout cela n'a ni sens ni valeur.

La force de l'essentiel

ÉRIC VIGNER et la Comédie-Française ont servi avec grâce la densité d'une pièce qui permet sans cesse d'ouvrir de nouvelles perspectives, d'aller à l'essentiel, de déshabiller de tout ce qui ne sert pas le fond de l'âme.

Curieux que cette École des femmes ait pu irriter une certaine frange parisienne, peut-être frustrée qu'on ne lui présente pas un divertissement clef de l'image en main. Le public lorientais, lui, n'en est pas à la découverte d'une diction qui laisse libre la musique du texte et la compréhension qu'on en a.

En théâtre, comme ailleurs, la ville aux cinq ports n'a que le choix l'audace, et elle bien de la chance.