L'Express d'Outremont
26 septembre 2002 · Maxime Jacobs
LA BÊTE DANS LA JUNGLE, UNE PIÈCE AU PARCOURS REMARQUABLE
Produite par le Centre dramatique de Bretagne-Théâtre de Lorient et présentée au Théâtre Espace GO jusqu'au 28 septembre prochain, la pièce La Bête dans la jungle aborde avec éloquence un travers humain - le narcissisme - qui continue d'empoisonner nos rapports malgré les notables avancées de la psychologie moderne.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette pièce, en plus d'avoir connu et de connaître encore un destin privilégié, est marquée du sceau de la notoriété. Tirée d'une nouvelle de Henry James, adaptée dans la langue de Molière par nulle autre que Marguerite Duras, l'oeuvre dramaturgique est signée James Lord, un Américain né en 1922, qui a travaillé pour les services de renseignements durant la Deuxième Guerre mondiale. Installé à Paris vers la fin des années 40, il fréquente dès lors le milieu artistique de l'époque, les Picasso, Bacon, Gertrude Stein et Cocteau. Jolie brochette de gens intéressants... Il posera même pour Giacometti et consacrera à plusieurs d'entre ses amis des biographies. Quant à Henry James, l'auteur de la nouvelle, il a vu le jour dans le New York de 1843. Transitant dans plusieurs capitales de l'Occident, il dépose d'abord ses pénates à Paris où il côtoie Tourgueniev et Haubert, puis s'installe à Londres. Alors qu'a commencé la Première Guerre mondiale, en 1915, il se désole tant de l'attitude des Américains - qui veulent rester en dehors du conflit - qu'il renonce à sa citoyenneté et se fait citoyen britannique. Il mourra l'année suivante, dans l'ombre de son célèbre frère William, Henry James ne sera reconnu qu'à titre posthume alors que seront révélés tour à tour les éléments littéraires d'une oeuvre aussi remarquable que foisonnante dont fait partie La Bête dans la jungle.
Les trois grandes personnalités qui ont travaillé sur l'oeuvre - James, Lord puis Duras - ont un point commun : ils furent tous les trois captivés par le mythe de Narcisse, le thème central de cette pièce qui raconte le drame d'une jeune femme, Catherine, profondément amoureuse d'un homme qui n'en a cependant que pour lui-même.
Si Henry James s'est d'abord inspiré du mythe grec pour en faire sa nouvelle que James Lord a plus tard porté à la scène, Duras a ensuite modernisé La Bête... en y faisant intervenir d'autres thèmes : la mémoire, les souvenirs, les secrets et les non-dits. Mise en scène par ÉRIC VIGNER, la pièce présentée à Espace GO donne la vedette aux comédiens Jutta johanna Weiss, d'origine autrichienne, et Jean-Damien Barbin.
Dans France Culture, la journaliste Joëlle Gayot écrivait : "Servi par deux comédiens remarquables, La Bête dans la jungle perturbe, dérange, effraie parfois. On en ressort dans un état curieux comme si ce qu'on ne savait pas en entrant dans la salle et qu'on découvre après, c'est qu'on avait rendez-vous avant tout avec soi."