Avants-goûts · Éric Vigner · ANTIGONA

Avants-goûts · Éric Vigner · ANTIGONA
Avants-goûts
Note d’intention & entretien
Éric Vigner
25 Jan 2004
Langue: Français
Tous droits réservés

Avant-goûts (notes)

Éric Vigner · 25 janvier 2004


Au commencement est une action : le combat fatal des deux frères Etéocle et Polynice et leur mort réciproque sous les yeux d'Antigone, de sa soeur Ismène, de son amant Hémon, du père de celui-ci Créon et du citoyen de Thèbes, Adraste ainsi que du choeur constitué des thébains et argiens réunis.
C'est de cette action que se nourrit le développement cérémonial qui va suivre.

La mort des deux frères n'est pas accidentelle. Elle est fondatrice. Elle est volontaire.
Les frères sont jumeaux (un seul oeuf dupliqué), clonage insupportable que la mort seule peut simplifier. ANTIGONA commence par la réunion des parties divisées jusque-là dans la vie et enfin réunies dans la mort, un acte d'amour en quelque sorte, une cérémonie d'apaisement, de retour au calme, comme si le crime était dirait-on génétique dans cette histoire et qu'il fallait symboliquement et réellement retrouver le chemin de l'origine pour atteindre le noyau .

Ils étaient deux entités jumelles, par la mort réciproque ils rejoignent la source et c'est là qu'Antigone veut aller. C'est ce que l'on sent sublimement exprimé par la musique dans la cérémonie secrète de la crémation du corps de son frère Polynice : revenir à la poussière, redevenir poussière pour rejoindre celle des étoiles et du temps et tenter d'effacer cette tentative tragique et vaine d'une histoire de l'humanité.

On pense en écoutant cette ANTIGONA, au commencement de la lumière, à la lumière noire des profondeurs cosmiques, vacillation perpétuelle entre le noir et blanc sans
jamais y atteindre.

Au-delà des notions définies du temps, l'amour originel des frères et des soeurs perdure au-delà de la mort physique.

Ainsi dans le second acte, les vivants côtoieront les morts et les ombres claires sortiront de la caverne pour accompagner et servir à la cérémonie.

Cette ANTIGONA est une rareté, un chef d'oeuvre très inspiré aux accents symbolistes par endroits, une oeuvre visionnaire qui initie les recherches qui ont frappé les siècles futurs.

C'est une oeuvre à caractère religieux, une messe pour ainsi dire inspirée de l'Italie et de la Russie combinées - mélange d'orthodoxie et de catholicisme -, le soleil jaune de l'Italie du sud sous le ciel blanc de St Petersbourg. Les personnages tous membres ou peu sans faut d'une même famille sont parents de l'inceste consacré par le crime d'Oedipe et le désir inconscient et fondamental des enfants est de réaliser le mot d'ordre chuchoté « que tout meurt».

C'est une cérémonie d'achèvement sur les ruines du monde dans un espace-temps indéfini à laquelle nous allons assister. Des ruines du monde ne reste que des signes carbonisés dont on a dû à un moment donné quand ils étaient vivants savoir leur signification et leur utilité.

L'on distingue aussi des projections d'espaces graphiques sidérales, des souvenirs luminescents de céphéides, un soleil éteint et sous la cendre, des graffitis obscènes de cabinets érotiques engloutis (l'on se souvient de Pompeï et de celui secret et jamais retrouvé de Catherine la Grande dont les meubles-objets sont dispersés dans le monde, serrés dans les coffres d'alcôves des riches collectionneurs).

L'armée des ombres contemporaines côtoie les héros morts et les vigiles cérémoniaux... Phosphore dans la nuit sidérale (pas d'aube à l'horizon).

Aujourd'hui l'espace et le temps sont compressés dans un présent où le sens du rituel échappe - pas de douleur - à un sentiment permanent qui coule, suinte et s'immisce en nous.

La fin de l'inceste
La transgression de la loi ici ne se situe pas seulement au niveau de celle des hommes. Tel le héros masculin, Antigone s'adresse à Dieu.
La loi est ici divine et la présence de Dieu est dissolue dans la poussière du temps, les souvenirs et les ombres de toutes nos sociétés para-militaires, nations, peuplades, tribus qui ont habité le 20e siècle révolu de notre histoire contemporaine.
Nous fouillons dans le fouillis des ruines, celle des twins écroulées où flottent encore des hallucinations d'holocauste. Le temps est venu et sur les ruines du monde (Hiroshima et Auschwitz tout aussi bien), de l'inceste et de la faute initiale de désirer que l'amour, sentiment matériel, trouve une autre forme, un autre soleil pour renaître.

C'est l'humanité de cette Antigona - l'humaine est à sa place debout au milieu de nulle part et la couleur est contenue dans le blanc et le noir pas encore révélé.

L'acte des deux frères précipite, absorbe, engloutit les autres astres satellites dans l'abîme infini du temps -.
Dans la chimie, on dit « précipité - ANTIGONA serait comme une succession lente de précipités enchaînés ; l'un entraîne l'autre dans sa chute et bâti une longue chaîne d'achèvement, tous indéfectiblement liés, les frères et les soeurs et les pères, les cousins.

ANTIGONA de Traetta, c'est ce qui resterait d'une humanité délitée, déshydratée. Une Atlantide dans la cosmogonie du temps où s'élève voix lactée, la plainte infinie et insondable du mystère originel.

Dans notre version Hémon est chantée par une femme, un hasard, pas si sûr, le féminin s'accordera au féminin et rencontrera la fin dans cet abîme de la caverne.

Théâtre matriciel, capharnaüm où gisent abandonnés, les signes mêlés du temps humain désormais achevé. Alors, errance de la soliste dans la caverne sans or, d'une richesse sans trésor où la lumière a quitté la matière et s'est confondue dans l'espace sans eau ni pain.
« C'est là que j'ai toujours voulu venir - dira-t-elle.
Le mariage misérable de la fin ne célèbre pas le renouveau de la vie sur la mort, mais le retour au réel, celui de la fin, celle de l'offrande faite à Catherine par son amant. Aussitôt la lumière du théâtre finie et le théâtre vide, demain dans un instant, la douceur de retourner à cet endroit d'où l'on vient, où l'on va.