Sur Antigone · Jean Cocteau · ANTIGONA

Sur Antigone · Jean Cocteau · ANTIGONA
Sur Antigone
Dramaturgie
Jean Cocteau
En marge d'Antigone
Gallimard
Langue: Français
Tous droits réservés

SUR ANTIGONE

Jean Cocteau

En marge d’ »Antigone »
In Pleïade Cocteau
Page 327

Il s’agissait de copier un chef-d’œuvre et de retrouver avec un trait noir la perte du détail et des couleurs. Mais sans rien changer. La vitesse qui étonne et qu’on m’impute se trouve dans Sophocle. Mais notre vitesse n’est pas la même que celle de jadis. Ce qui semblait court à une époque attentive et calme paraît interminable à notre trépidation. C’est pourquoi je déblaye, je concentre et j’ôte à un drame immortel la matière morte qui empêche de voir la matière vivante. Les personnages d’Antigone ne « s’expliquent pas », ils agissent. Ils sont un vieil exemple du théâtre qu’il faudra bien substituer au théâtre des bavardages. Le moindre mot, le moindre geste alimentent la machine. Aussi, conseillé, raillé, lâché par le Chœur dont le timbre de voix résume le jeu avec masque et mégaphone des tragédies d’Athènes, le drame passe comme un train qui se hâte vers le déraillement final.

Le décor est une sorte de crèche de Noël en carton bleu outremer. Il exprime le beau temps. Chacun des masques accrochés autour de la voix du Chœur est un chef d’œuvre de Picasso. Les journalistes les confondent avec une vitrine de Mardi gras. J’ai demandé les costumes à Mlle Chanel parce qu’elle est la plus grande couturière de notre époque et que je n’imagine pas les filles d’Œdipe mal vêtues. Antigone a décidé d’agir. Elle porte un manteau de lainage. Ismène n’agira pas. Elle garde sa petite robe de n’importe quel jour. L’éclairage ne change pas. Il est intense. Antigone se décide à l’aube et le soir on la tue. Mais les différences de lumière se trouvent dans le texte, et, comme dit Antigone à Créon : « Le reste m’est égal. » Si j’ai monté la mise en scène comme une sorte de danse, si la fille d’Œdipe prend cet étrange élan à reculons pour toute sa journée illustre, si le Chœur et le Soldat se taisent soudain une minute entre leurs répliques, si un garde baisse sa lance devant Antigone qui, parce qu’elle y pose sa main et argumente, la transforme en barre de tribunal, etc. etc. ce n’est jamais pour une recherche de pittoresque, mais pour aider l’action à prendre tout son relief

La musique d’Honegger si belle et si modeste ne se superpose pas à la parole mais joue le rôle d’un geste ou d’un accessoire. C’est pourquoi je lui ai demandé l’emploi d’un seul instrument.

J’ai, de la sorte, obtenu un résultat curieux : Le drame « rafraîchi », rasé, coupé, peigné, dérange les critiques au même titre qu’une pièce neuve. Car un chef-d’œuvre porte en soi une jeunesse que la patine recouvre mais qui ne se fane jamais. Or, c’est seulement cette patine qu’on respecte. J’ai ôté la patine d’Antigone. On a cru me reconnaître dessous. C’est bien de l’honneur.

 

P.S Réponse à quelques questions :

1- Pourquoi j’ai fait jouer, tous deux incomparables, Mlle Atanasiou à froid et Charles Dullin à sec, pour que l’émotion naisse uniquement de ce qu’ils expriment.

2- Pourquoi les femmes peintes en blanc et les hommes en rouge. Comme le théâtre de l’Atelier n’a pas de rampe, il me fallait retrouver les prestiges de la rampe sous une autre forme.

3- Pourquoi je m’occupe de Sophocle. Parce qu’il existe des choses neuves très vieilles et des choses vieilles toutes neuves. Peu m’importe de faire rire ou pleurer. Il s’agit de remplir la scène avec certains volumes – Les Mariés de la tour Eiffel, Le Bœuf sur le toit, ou Antigone sont le même prétexte.