Entretien avec Éric Vigner · LE BARBIER DE SÉVILLE

LE BARBIER, IN THE SOLITUDE, OTHELLO : Une trilogie?
Note d’intention & entretien
2010
CDDB-Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés

LE BARBIER, IN THE SOLITUDE, OTHELLO : UNE TRILOGIE ?

LE BARBIER, IN THE SOLITUDE et OTHELLO ont été créés à quelques mois d'intervalle, je crois?

E.V. : Tout à fait. LE BARBIER a été créé en avril 2007. Je commence dès mon retour d’Albanie la traduction d’OTHELLO avec RÉMI DE VOS, ce qui nous prendra six mois. Puis je suis appelé à ATLANTA pour la création d’IN THE SOLITUDE OF COTTON FIELDS au 7 Stages dans le cadre du KOLTÈS PROJECT. Et c’est au retour d’ATLANTA que le travail de création d’OTHELLO commence.

Trois textes radicalement différents ?

E.V. : Pas du tout. En fait, leurs structures se ressemblent : en spirale autour d’un point aveugle, qui contamine la pièce, en est le moteur. Dans LE BARBIER, c’est le monde extérieur, qui détruit le monde intérieur de Bartolo. Dans OTHELLO, le personnage est le point aveugle, mais ce n’est pas lui qui mourra – subtilité. Dans IN THE SOLITUDE, on va plus loin : c’est le désir intérieur du client, un désir absolu de mort. On voit bien alors comment du BARBIER à IN THE SOLITUDE, le point aveugle s’étend et dévore la fable.

Si aujourd'hui ces structures apparaissent plus clairement, avais-tu à l'époque envisagé ces spectacles comme une trilogie ?

E.V. Ils sont plus faciles à isolés de l’ensemble de mes créations parce qu’ils sont unifiés par le noir le blanc. Je préfère parler de triptyque, animé du même geste pictural qui les fait sortir du plateau.

Et ce geste est né dans une photo ?

E.V. : Tout à fait. Une photographie qui porte en elle toute l’architecture plastique de ces spectacles, mais qui traduit aussi peut-être celle d’autres plus anciens. Comme un révélateur.

    

Peux-tu nous en parler ?

E.V. : C’est une photo avec deux officiers assis à une table de café, devant un décor peint, habillés avec la jupe traditionnelle blanche et les vestes d’apparat. On peut la voir comme ça. Mais on peut aussi la voir autrement : comme une abstraction. Regardez la composition de la photo : des contrastes incroyables, aussi des tâches, des imperfections dues au temps mais surtout une symétrie quasi parfaite qui fait voir un test de Rorschach. Donc une image sur laquelle on se projette.

Comme ton théâtre ?

E.V. : Le théâtre n’est pour moi pas un endroit de résolution des questions, pas un endroit où on trouve des réponses. Le théâtre revisite des histoires de son corps, par soi oubliées. Pour que le spectateur puisse accéder aux choses inconnues – oubliées – il faut que le théâtre porte en lui son double : quelque chose et autre chose. Par exemple, CÉZANNE peint des pommes, mais en même temps il peint la peinture et la lumière. Le regard s’apprend, c’est une éducation. Dans HIROSHIMA MON AMOUR, le japonais demande à la jeune femme : "Pourquoi es-tu venue à Hiroshima ?". Elle lui répond : "Parce que ça m’intéressait, et je crois que bien regarder ça s’apprend." Elle vient à Hiroshima, le lieu de l’éblouissement, pour apprendre à voir, à regarder…

Et l'histoire racontée au spectateur ?

E.V. : On s’accroche à l’histoire mais elle est un prétexte pour travailler un art plastique. C’est un théâtre qui propose quelque chose, qui fait travailler, qui pose des questions. Le noir et le blanc n’existent pas, la mise en scène est un dessin, mais n’est pas décorative. Prenez IN THE SOLITUDE OF COTTON FIELDS et SAVANNAH BAY : ces spectacles sont construits de la même manière. Il faut dépasser pour chacun la notion de fable et d’histoire pour retrouver une personne qui se livre combat. L’intérêt de ces textes réside dans la proposition faîte par l’auteur d’une dialectique, et non de personnages. Pour le spectateur, le travail se fait de manière distanciée : pas d’identification, mais une participation. Être avec les personnages, dans l’histoire.

Comme tous les textes qui t'intéresse, il n'est question que d'amour, de mort et de Dieu...

E.V. : Oui, parce que : quoi d’autre ?

La jalousie ?

E.V. : C’est une douleur, une peur de ne pas être aimé, une manière de rendre l’autre responsable de son propre désarroi. Si tu es jaloux, c’est que quelque chose d’autre que le deal entre alors en jeu : mais alors quoi ? La jalousie, c’est un moyen d’interroger l’amour, un aléa : un moyen de tourner autour de la question.

Comme sur le plateau que tu as dessiné pour LE BARBIER  et OTHELLO ?

E.V. : C’est un élément d’architecture qui permet de voir sans être vu. Elle permet de séparer, et de mettre en miroir – graphiquement – des éléments : ombre et lumière, intérieur et extérieur.

La jalousie prend la forme d’une dentelle agrandie, qui présente des trous, des points obscurs dans lesquels les personnages plongent. Ce sont les points obscurs de chacune des mises en scène, des plongée vers une résolution : l’absorption des personnages par le décor en une seule et même figure plastique figée : le tableau.

C'est elle qui réunit les trois spectacles ?

E.V. : La jalousie est la pliure du rorschach. Elle sépare les versants identiques d’un même élément : le versant tragique (OTHELLO) et le versant comique (LE BARBIER) d’une histoire d’amour qui, exacerbée (IN THE SOLITUDE), conduit à la mort. Ces trois spectacles sont une variation de la même photographie des MARUBI.