Le Club des Sept · L'Académie
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Le Club des Sept
Depuis l’automne 2010, vous avez sans doute croisé dans les rues de Lorient, sur la scène du Théâtre de Lorient ou la plage de Larmor, ces sept nouveaux visages. Visages jeunes (de 20 à 34 ans), multicolores, ouverts et rieurs, venus de France et d’ailleurs. ÉRIC VIGNER les appelle ses « sept mercenaires ». Ce sont les sept jeunes acteurs de L’ACADÉMIE.
Entretiens DAVID SANSON et ÈVE BEAUVALLET
Photographies ALAIN FONTERAY
EN DÉCIDANT DE CRÉER, en octobre 2010, son Académie, ÉRIC VIGNER initiait au Théâtre de Lorient une forme renouvelée de permanence artistique, en même temps qu’une aventure de transmission théâtrale ancrée dans la vi(ll)e. À mi-chemin entre l’école et la troupe, l’Académie réunit pendant trois ans « sept jeunes gens qui symbolisent une sorte de “jeunesse du monde”, qui font du théâtre et veulent partager cette expérience-là, et qui vont représenter la capacité d’ouverture de Lorient », expliquait-il l’été dernier pour le premier numéro de ce magazine. Quelques mois plus tard, il s’enthousiasmait encore : « C’est une expérience de vie et de théâtre absolument formidable. Un travail perpétuel : on cherche encore, rien n’est fixe. Ils ont acquis une mobilité. Ils ne sont pas enfermés dans une structure r igide, i l s restent complètement ouverts à l’expérience ; dans le désir et pas déjà dans la nostalgie. Ils sont comme un ciel, avec des étoiles. Il y a là-dedans quelque chose, une forme de lumière qui était justement celle que je désirais trouver au théâtre… »
Depuis l’automne 2010, de la naissance du projet à aujourd’hui, il s’est passé beaucoup de choses pour ces mercenaires, ou ces samouraïs ; et beaucoup de choses ont été transmises au sein de l’Académie. Depuis les deux semaines de masterclasses qui inaugurèrent leur séjour à Lorient (il y fut question de Duras, Corneille ou Koltès, du théâtre de Klaus Michael Grüber ou de la peinture de Piero della Francesca), les sept comédiens ont eu le temps de travailler et monter deux textes, La Place royale de Corneille et Guantanamo de Frank Smith, et de les jouer sur scène à travers toute la France (parfois les deux à la suite). En attendant, demain déjà, Avignon : c’est en effet au Festival que sera créé La Faculté, dernier texte de cette première série de trois (un chiffre fétiche), commandé cette fois à Christophe Honoré…
ÉRIC VIGNER, qui fut aussi comédien avant de passer à la mise en scène, les a regardés se « muscler », s’aguerrir au contact de la scène, jour après jour « construire le rapport au public, mesurer l’impact de ce qu’ils sont en train de lui dire ... » Il les a vus aussi bouleverser le quotidien du CDDB : « Tout à coup, on comprend ce qu’est un théâtre : un endroit où des gens travaillent tous les jours, cherchent, répètent, vivent. Cette présence humaine, humaniste, a complètement nourri la vie du lieu. Je me demande même comment j’ai pu attendre aussi longtemps avant de faire cette expérience... » Le quotidien de l’Académie durant ses régulières et intensives sessions lorientaises ? Du travail, encore et toujours ; sur les textes en chantier ou sur les fondamentaux du théâtre selon Vigner ; sur les techniques de respiration ou sur la danse baroque. Du travail, et des rencontres : auprès d’universitaires comme Jean-Claude Monod ou Christian Biet ou de l’inoubliable Michelle Kokosowski, fondatrice de l’Académie expérimentale des théâtres, ils ne cessent d’apprendre.
Comme les sept mercenaires, nos Académiciens ont chacun leurs (fortes) personnalités, comme vous le lirez dans ces pages. Certains ne comptent même pas devenir acteurs. Pour l’heure, ils sont là où ils doivent être : dans le présent. Occupés à construire leur petite démocratie à visage humain et à faire, avec ÉRIC VIGNER, cette expérience d’un être ensemble qui est le noeud même du théâtre.
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HyunJoo Lee
34 ans, née à Séoul, s’était installée en France pour fuir le théâtre… qui l’a définitivement rattrapée.
FORMÉE TRÈS TÔT À LA DANSE ET AU THÉÂTRE, HyunJoo est arrivée à Montpellier il y a dix ans. Elle passe ensuite par les classes libres du Cours Florent à Paris, puis entame une carrière de comédienne menée en parallèle de ses études théâtrales à l’université où elle travaille actuellement à sa thèse de doctorat : « J’étais justement partie de Corée pour ne plus faire de théâtre, et je me retrouve à être comédienne ! Je pense que ce doit être mon destin… Si je suis actrice aujourd’hui, il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en convaincre. Mais je suis quelqu’un de très, très lent, un vrai escargot… »
David Sanson : Quel souvenir t’évoque ton arrivée à Lorient ?
HyunJoo : « Bizarrement, je dirais que c’est comme chez moi. J’avais travaillé au Théâtre national de Corée, côtoyé les acteurs avec lesquels Éric avait travaillé, et ils m’avaient beaucoup parlé de lui, de Lorient. Je m’y suis sentie tout de suite très à l’aise. Je me souviens des impressions devant ces immeubles d’après-guerre tout gris et ces grands boulevards qui me rappelaient la Corée… Lorient, c’est comme ma seconde maison. »
As-tu déjà eu, auparavant, une expérience similaire à celle de l’Académie ?
« En Corée, où j’ai pu jouer vers 20 ans dans Les Fourberies de Scapin, les acteurs ont une vie très communautaire : on répétait du matin au soir, suivant un rythme très soutenu. En France, j’ai participé au projet Musée haut/Musée bas de Jean-Michel Ribes, avec une douzaine d’élèves de notre promo du Cours Florent… Mais avec l’Académie, c’est autre chose… Ce n’est que maintenant, après la 34e représentation de La Place royale, que je commence à comprendre quel était l’enjeu : l’Académie fait se rencontrer des gens qui, avant d’être “de différentes couleurs”, sont des individus différents ; c’est la compréhension de la vie dans une micro-communauté, sans vouloir caractériser telle ou telle personne. Car pour moi, Eye, Isaïe, LAHCEN sont des Français ; et moi, je n’incarne pas l’Asie… »
Gardes-tu le souvenir d’un moment fort durant ces mois écoulés ?
« Plusieurs… Je suis sûre que tout le monde va citer ce matin, à Orléans, où nous nous sommes retrouvés tous ensemble dans la cuisine. C’était le premier jour de l’intégrale [Guantanamo et La Place royale donnés successivement dans la même soirée, Ndlr.]. Une autre sorte d’amitié est née à ce moment précis… Mais je garde surtout un très beau souvenir du moment où Éric nous a demandé de présenter un passage de Dans la solitude des champs de coton, de Koltès, en anglais… Chacun était libre de le présenter comme il voulait : Vlad a fait une sorte de rap, Isaïe était avec son ballon de basket, Eye avait son casque avec de la soul music… Les gens du CDDB étaient là, morts de rires. C’était une expérience de transmission, mais aussi de partage. La transmission, ça ne concerne pas forcément toujours des choses très sérieuses… »
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Isaïe Sultan
21 ans, grand amateur de foot, a rencontré un jour le théâtre par hasard dans les rues de sa banlieue parisienne.
ISAÏE GRANDIT EN BANLIEUE PARISIENNE dans un milieu sans théâtre et des amis « qui jouent au foot ou font du rap ». Adolescent, il croise un comédien en train de jouer dans la rue : « Tous les autres disaient que c’était un truc de bouffon et, je ne sais pas pourquoi, moi j’ai trouvé ça bien. Je faisais du skate et du foot comme mes amis. J’ai ressenti avec cet épisode que c’était la première fois que je faisais un choix individuel. » Après, tout s’enchaîne rapidement : un agent à 16 ans, un film, Domaine de Patric Chiha, dans lequel il donne la réplique à Béatrice Dalle, le conservatoire du Ve arrondissement, la vie de troupe à l’Académie « un beau bordel organisé » et aussi une belle rencontre avec LAHCEN « un peu mon grand frère dans l’Académie. Comme un enfant, il a l’art de s’émerveiller de tout et d’y aller. »
Ève Beauvallet : Comment as-tu vu évoluer tes collègues en un an et demi ?
Isaïe Sultan : « Je repense à HyunJoo et à son rapport à la langue. C’était presque difficile de la comprendre dans une conversation courante au début alors qu’aujourd’hui, tout est limpide. Lorsque nous sommes arrivés à l’Académie, LAHCEN et moi avons habité 3-4 jours chez HyunJoo. Je me réveille une nuit à cinq heures du matin parce que je l’entends parler dans la cuisine. Je me dis qu’elle est au téléphone, je me rendors, me réveille à nouveau à sept heures. Elle était toujours dans la cuisine. J’ai compris qu’elle répétait son texte. Elle a fait un travail énorme pour arriver à se fondre dans ce que voulait Éric. »
Un moment de transmission particulièrement marquant ?
« La rencontre avec Christian Biet. C’est magnifique d’entendre ce mec parler du théâtre du XVIIe siècle. Il a un énorme talent d’orateur, c’est comme s’il nous parlait en direct d’une autre époque. Il nous expliquait qu’au moment où Corneille écrit La Place royale, les spectateurs sont debout, venus pour voir du théâtre mais aussi pour manger et discuter. Du coup, il écrit pour des acteurs qui vont devoir balancer le texte avec une énergie folle ! C’est devenu très concret pour moi. »
Quel souvenir gardes-tu de ton arrivée dans l’Académie ?
« Tout était nouveau. Cette ville d’abord, l’ambiance générale du CDN avec toutes les archives d’Éric, les photos des spectacles passés disponibles. C’était un monde nouveau qui s’offrait à nous. Mais ce qui est encore surprenant pour moi, c’est ce rapport particulier au temps. Dans mes expériences passées, c’était des exigences de rapidité et de rentabilité. Le rapport à la durée ici est complètement différent. J’en ai vraiment pris conscience le jour où Éric nous a invités à manger chez lui. Il avait tout bien préparé, il avait fait un feu… C’est palpable jusque dans sa maison, cette qualité qu’il accorde au temps. Mais c’est aussi dû, je crois, au fait de travailler hors de Paris. Je me dis que c’est indispensable, si j’envisage une carrière d’acteur, d'avoir conscience que ce n'est pas une course. »
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LAHCEN ELMAZOUZI
29 ans, est arrivé à Paris de Châlons-en-Champagne dans l’idée de faire du cinéma.
RÉVÉLÉ AU PUBLIC avec La Fille du RER d’André Téchiné et Homme au bain de Christophe Honoré, « un mec qui prend le temps de bien te rencontrer, qui sait vraiment mettre à l’aise », LAHCEN n’aurait jamais imaginé faire du théâtre, ni atterrir un jour dans le Festival « In » d’Avignon via l’Académie. Aujourd’hui, il décrit une expérience « magique » dans une « famille » où on se lève ensemble, mange ensemble, travaille ensemble, où l’on s’embrouille parfois tout en redoutant de devoir se quitter un jour. « On restera des académiciens à vie », conclut-il.
Ève Beauvallet : Tes premières impressions en arrivant dans l’Académie ?
LAHCEN ELMAZOUZI : « Je me suis dit : “Je rentre dans le métier.” Les gens nous ont tout de suite pris au sérieux. On n’était pas considérés comme des débutants. Le premier kiff, c’était de me retrouver sur le plateau du théâtre. C’est par Christophe Honoré que j’ai rencontré Éric mais moi, je ne savais même pas qui c’était. Après, tu vois le parcours, tu prends une claque et tu te dis que t’es pas n’importe où. C’était drôle parce que, quelques mois avant, j’avais rencontré Eye dans une soirée et on s’était dit qu’on aimerait bien travailler ensemble. Et voilà, quelques mois plus tard on se retrouvait. Je sais que ce sont des gens avec qui j’ai envie de continuer à travailler. Comme Isaïe, aussi. Ce sont des rencontres magiques, pour moi. »
Comment as tu vu les autres évoluer en un an et demi ?
« Déjà, ils ont tous appris à me supporter ! Non, plus sérieusement, c’est dfficile à dire. Je crois qu’on a tous appris la même chose : à être là, présents sur le plateau. Éric crée sa mise en scène pour nous, il démarre de nous et il construit autour. Des trucs simples, hein : par exemple, t’es sur scène, tu vas te chercher de l’eau, eh bien il garde la proposition et il voit après. Il est super fort sur ce point. »
Et en termes d’évolution personnelle ?
« Moi, ma plus grosse frayeur au départ, c’était le texte à apprendre. En fait, très vite, tu ne te poses même plus la question : il faut le savoir, point. J’ai appris à être patient, à attendre mon tour pour travailler, à exister simplement sur scène. J’en ai passé des heures à rester sur le plateau sans rien dire. Dans La Place royale, je ne parle pas et j’ai beaucoup appris. »
Quels souvenirs de rencontres marquantes gardes-tu ?
« On a rencontré beaucoup d’amis d’Éric et ce sont tous des planètes. Michelle Kokosovki, c’est une planète. T’as envie de faire du théâtre pour elle et seulement pour elle. Mais après, ma rencontre, personnellement, c’est avec Éric. Les plus beaux instants, c’est quand il est déjà tard dans le théâtre, qu’on est assis tous ensemble, et que Éric nous parle et qu’on sent qu’on travaille de l’intérieur. »
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Nico Rogner
34 ans, a grandi en Allemagne et a longtemps cru que le théâtre n’était pas un métier « sérieux ».
APRÈS LE BAC, Nico étudie en école de commerce avant de réaliser qu’il peut être comédien « de métier ». À Rome, il rencontre des comédiens et décide de tenter une école de théâtre, « pour ne pas regretter plus tard de n’avoir pas essayé ». Depuis, on l’a vu au cinéma dans La Rabbia de Louis Nero avec Faye Dunaway (2008) et dans Séraphine de Martin Provost (2008). Il est installé en France depuis 2008.
David Sanson : Vous venez de jouer Guantanamo. Il y a 10 ans, les États- Unis ouvraient là-bas le camp X-Ray : où en étais-tu à l’époque ?
Nico Roger : « J’étais soit à Bordeaux, soit à Rome, pendant mes études de commerce. »
Quel souvenir gardes-tu de ton arrivée à Lorient ?
« Je garde un très bon souvenir de la masterclass des deux premières semaines. C’était l’occasion de découvrir tout le monde, et aussi le travail d’Éric… J’avais un peu hésité quand il m’a proposé le projet, car un engagement sur trois ans, ce n’est pas rien. Mais cela m’intéressait de me fixer dans un théâtre, d’autant qu’en Allemagne, le théâtre fonctionne beaucoup suivant ce système de troupe, que je trouve plutôt pas mal. »
Est-ce la première fois que tu participes à un tel projet au long cours ? Peux-tu nous raconter un peu le quotidien de l’Académie ?
« En Italie, j’avais pas mal tourné avec une pièce de Primo Levi dans laquelle nous étions six ou sept comédiens. Cela ressemblait un peu à ça, mais en moins formateur, car il s’agissait davantage d’une production “classique”. Le théâtre d’Éric n’a rien à voir avec les fondamentaux que je me suis créés… C’est un “théâtre de la parole”, je dirais, où le texte, la manière de dire les choses, les mots sont le plus important. Mais, de toute façon, le bagage d’un comédien reste une soupe que personne ne connaît, faite d’ingrédients qu’il a pris à droite et à gauche… À l’Académie, j’ai beaucoup appris, par exemple, sur la technique vocale et respiratoire : la conscience de la voix, de l’organe en tant qu’instrument — des choses que l’on savait peut-être avant, mais qu’on n’avait jamais vraiment eu la possibilité de mettre en pratique… »
Parmi tes collègues, y en a-t-il un dont l’évolution t’a frappé ?
« Je citerai Vlad. Il a beaucoup travaillé sur sa voix, sa respiration et c’est grâce à cela, je crois, qu’il a gagné en présence scénique. Il est devenu plus sûr de lui, aussi. Je pense aussi à Tommy, qui vient de la mise en scène, mais dont le plaisir et l’envie du jeu ont tout de suite été manifestes. C’est devenu toujours plus fort et plus clair, et je crois qu’il y a beaucoup travaillé. La semaine dernière encore, à Brest, il est sorti d’une scène en souriant fièrement : "Ah, aujourd'hui, j'ai compris quelque chose..." »
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Eye Haidara
28 ans, d’origine malienne, a commencé à passer ses premiers castings dès l’école primaire.
NÉE À BOULOGNE EN 1983, Eye découvre le théâtre grâce à un instituteur passionné qui l’encourage à passer des castings. À 10 ans, elle décide de devenir comédienne : ce sera un bac option théâtre, un Deug d’arts du spectacle et l’entrée en école d’acteur. Aujourd’hui, elle joue au théâtre et au cinéma, et considère la vie dans l’Académie comme « un couple à sept ».
David Sanson : Il y a 10 ans, les États-Unis ouvraient à Guantanamo le camp X-Ray, accueillant les détenus soupçonnés de terrorisme : en septembre 2001, que faisais-tu ?
Eye Haidara : « J’entrais en terminale et… le jour du 11 septembre, je revenais de New York (sourire). J’avais laissé ma sœur, là-bas, chez ma cousine qui n’habite pas très loin du World Trade Center, on voit les tours de sa fenêtre. Je crois que le téléphone n’a jamais autant sonné que ce jour-là, à la maison… »
Tu as déjà participé à plusieurs tournages et projets de théâtre. Quelle différence par rapport à l’Académie ?
« Même si chaque projet est de toute façon différent, la notion du groupe, dans le cas de l’Académie, est très singulière. On est vraiment une chaîne, composée uniquement de maillons forts : ça ne peut pas se briser… Nous sommes sept personnalités très affirmées, et quand l’un d’entre nous n’est pas là, ça manque tout de suite… Je vis l’expérience de façon assez naturelle mais, en même temps, je pense qu’Éric a bien étudié son casting — il a cette facilité à sentir les gens, et il ne s’est pas trompé. »
Un moment particulièrement fort ces derniers mois ?
« Il y a eu beaucoup de moments importants. Je me souviens de la première de La Place royale où on s’est spontanément mis en cercle pour faire un petit speech. C’est devenu un rituel : maintenant, tous les soirs, avant de monter sur scène, on se prend les mains, l’un de nous fait un petit discours, et on a notre petit cri de guerre… La rencontre avec Michelle Kokosowki est un autre moment marquant. En une matinée, elle nous a balancé tellement de messages, transmis tellement de choses ! Et à chacun d’entre nous, y compris Éric, sans forcément nous désigner… J’ai reçu tout ce qu’elle a dit, c’était énorme. Et je me souviens qu’à la représentation du soir, on a tous senti qu’on travaillait différemment. »
Ta perception du métier de comédienne a t-elle changé, depuis ?
« Éric nous a transmis cette notion du travail au présent. C’était quelque chose que nous savions tous au fond, mais qui restait en fait très abstrait. Éric nous a appris à parler de façon concrète, il ne nous lâche pas là-dessus, et je pense que cela a vraiment fait évoluer la comédienne que je suis, je l’ai remarqué lors des castings que j’ai passés depuis le début de l’Académie… »
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Tommy Milliot
27 ans, se destine à la mise en scène après de nombreux allers-retours entre théâtre et arts visuels.
ÉLEVÉ À LA FRONTIÈRE BELGE dans une famille qui ne va ni au théâtre ni au musée, Tommy ne s’explique pas facilement la raison pour laquelle il a développé si tôt un tel goût pour les arts plastiques. Plus tard, il développera aussi une allergie pour la mise en scène traditionnelle française et voguera quelques années entre les cours de théâtre, de scénographie, de littérature et d’art jusqu’à monter ses propres mises en scène de Marguerite Duras : « Je m’étais dit que j’allais passer ma vie à mettre en scène ses textes. » Aujourd’hui, il partage avec Éric Vigner une même fascination pour cet auteur et se destine pleinement à la mise en scène.
Ève Beauvallet : Où étais-tu en 2001 ?
Tommy Milliot : « J’avais 17 ans et la seule chose qui comptait, c’était le théâtre. Je crois que j’ai choisi le bac option théâtre au lycée après avoir vu une pièce au théâtre municipal. Je me souviens avoir eu l’impression que les acteurs jouaient pour moi seul. C’est une période où je découvrais aussi le travail d’artistes comme Pál Frenák, Jean- Michel Rabeux ou Jan Lauwers. Je m’intéressais beaucoup à eux parce qu’ils parvenaient à réconcilier sur scène mes deux passions : théâtre et arts plastiques. »
Tes premiers souvenirs de l’Académie ?
« J’ai un souvenir puissant de la première fois qu’Éric m’a parlé du projet, au Café Beaubourg, à Paris. Je l’avais rencontré lors d’un stage au Théâtre de l’Odéon dans le cadre d’un master professionnel de mise en scène à l’Université Paris X-Nanterre — une rencontre qui fut pour moi fondatrice mais que j’avais laissée derrière moi. On ne s’était pas vus depuis quelques temps. Il m’a lu des passages de Guantanamo et là, c’est devenu (à nouveau) évident. Au début, je n’avais pas compris que j’allais devoir jouer, je pensais que j’allais être son assistant-metteur en scène ! Jouer n’a pas été une étape évidente mais j’en suis aujourd’hui très heureux. »
Le travail sur le long terme, avec d’autres acteurs, t’a-t-il tout de suite attiré?
« Ce n’est pas, de prime abord, quelque chose qui m’avait fasciné, alors qu’aujourd’hui je trouve que c’est absolument incroyable. J’ai fait le casting des académiciens avec Éric, je me sentais un peu une mission de “rassembleur” parce que ce n’était pas gagné qu’on s’entende si bien, vu les différences entre nous tous. On a appris à travailler ensemble, parfois sans Éric, à se rassurer (c’était important, par exemple, de rassurer Nico et HyunJoo sur le fait que leur accent étranger pouvait être une force), à se dire les choses sans qu’il y ait de jeu d’ego, de compétition. Je ne pense pas que l’on puisse arriver à une telle profondeur relationnelle dans une production classique. Il y a quelque chose qui s’est passé entre nous, intimement et professionnellement. Et je suis sûr que, sur scène, on renvoie ça aussi aux gens : la force d’un groupe. »
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Vlad Chirita
26 ans, né en Roumanie, est, comme Tommy, un apprenti metteur en scène qui s’est pris au jeu.
LE PREMIER JOUR DE L’ACADÉMIE, Vlad est arrivé avec trois heures de retard — « un certain passif avec les avions… », plaisante-t-il. Il en a pris beaucoup depuis qu’adolescent, il a quitté son Bucarest natal pour rejoindre Metz, puis retourner finalement en Roumanie, pour ré-atterrir encore en France dans une carrière d’apprenti metteur en scène à l’Université Paris X-Nanterre. Comme Tommy Milliot, également impliqué dans ce master de mise en scène et de dramaturgie, c’est là qu’il rencontre Éric Vigner, les textes de Marguerite Duras et l’Académie.
Ève Beauvallet : Au moment de l’ouverture des camps de Guantanamo, où en étais-tu de ton parcours ?
Vlad Chirita : « Je faisais une prépa de cinéma à Bucarest parce que je voulais faire de la réalisation. J’avais découvert Andreï Tarkovski à 14 ans ; ma mère aimait son cinéma. J’étais très choqué par son travail. Cependant, à chaque fois que je regardais un de ses films, je m’endormais. J’avais toute la collection, je dormais tout le temps. Mais pas par ennui, en plus ! Plus tard, je suis parti en France, à Metz, faire un service volontaire européen pour travailler avec des handicapés comme comédien et assistant metteur en scène. J’y suis resté pour entrer à la fac, où j’ai découvert Les Aveugles de Maeterlinck. J’ai eu un déclic pour la mise en scène. J’ai monté une compagnie et renoncé à l’idée de passer le concours de la Femis. »
Avais-tu déjà pu travailler à plusieurs sur une telle durée, en Roumanie ?
« C’est un peu particulier, en Roumanie, puisque ce sont des théâtres d’État hérités de l’époque communiste ; l’idée d’accueillir des artistes en résidence n’existe pas, tout le monde travaille ensemble. J’étais toujours intervenu sur des projets ponctuels et jamais dans un type de configuration comme celui de l’Académie, sur une durée aussi longue. C’est quelque chose qui m’a un peu effrayé au début car j’étais attaché à une façon de papillonner de projet en projet. En fait, cette équipe, cette durée, toutes les différences entre nous, c’est devenu une grande force. »
Un moment de transmission marquant ?
« La rencontre avec Michelle Kokosowski. C’était une drôle de coïncidence : je m’étais réveillé, ce matin-là, en m’en voulant de ne pas avoir choisi le cinéma plutôt que le théâtre. Une période un peu difficile : je ne voulais plus jouer, je pensais m’être trompé. Et il y a eu la rencontre avec cette grande dame, qui a commencé à nous parler de Tadeusz Kantor et de Jerzy Grotowski. Elle nous a montré de la danse buto et aussi un extrait de film dans lequel Grotowski parle de transmission entre l’élève et le maître. C’était sûrement dû aussi à la façon très particulière qu’a cette femme de raconter une époque du théâtre aujourd’hui révolue, toujours est-il qu’elle m’a redonné une force incroyable. J’ai choisi de ne plus mettre en question ce que j’avais choisi de faire... »
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