Mémoire vive · une œuvre de transmission
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MÉMOIRE VIVE
Le Théâtre de Lorient poursuit son œuvre de transmission en mettant en ligne les archives de 20 ans de travail théâtral et en préparant la création de la bibliothèque Marguerite Duras qui ouvrira ses portes en 2014 à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de l’auteur.
«DE QUOI RÊVE-T-ON PLUS ET MIEUX QUE DE L’ABSENCE,
de ce qui n’a jamais existé sous nos yeux?»
— Maurice Olender, Matériau du rêve, IMEC, 2010
En 2009, le ministère de la Culture accordait au Centre Dramatique National de Bretagne une aide à la numérisation de sa mémoire pour participer à la mise en ligne de son patrimoine artistique. Trois ans après, au terme de quelques milliers d’heures d’archéologie numérique menées par Jutta Johanna Weiss, dramaturge, Aurélien Goulet, développeur et Dorothée Gourond-Even, documentaliste, les archives du CDDB sont enfin en ligne. À égale distance entre les actualités du théâtre et le programme de la saison 2012-2013. «Nous devons poser un œil neuf sur nos origines pour inventer l’avenir», disait Éric Vigner il y a tout juste un an dans les pages de ce magazine. La phrase est toujours d’actualité et elle vaut pour le travail entrepris sur les archives. L’ensemble des créations d’Éric Vigner et du Théâtre de Lorient sont désormais accessibles sur le site, répertoriées à partir de sources multiples : réflexions, articles, films, extraits de correspondances, entretiens, commentaires, notes, brouillons, esquisses, affiches des spectacles des graphistes M/M (Paris), fonds photographique d’Alain Fonteray... Une somme documentaire triée, classée et numérisée pour servir d’abri à ce qui se perd, transmettre l’histoire d’un parcours, d’une évolution esthétique, donner à voir les strates, les échafaudages qui ont constitué la genèse de vingt années de créations.
Archiver le théâtre... Le paradoxe en est-il vraiment un? L’art théâtral s’immerge depuis toujours dans ce qui remonte d’autrefois pour déchiffrer l’univers. Et il existe, aujourd’hui sans doute plus qu’hier, une tendance post-moderne, dans les arts dits vivants, à l’actualisation des documents, un goût pour l’archive. Le programme du Théâtre de Lorient le montre encore cette saison. Robert Cantarella et son reenactment des cours de Gilles Deleuze, Boris Charmatz et son Musée de la danse, Joris Lacoste et L’Encyclopédie de la parole dans Parlement ou encore Jérome Bel avec Cédric Andrieux témoignent tous de cette inclinaison commune, toutes disciplines confondues, pour la reconstitution, la restitution de l’éphémère. Et, bien sûr, les créations d’hier laissent aussi des traces chez ceux qui les ont créées, ceux qui les ont vues et qui voudront bien s’en souvenir. Les archives leur serviront de jeu de pistes, de fragments pour réinterpréter des créations, des impressions. Elles tiendront aussi lieu de « mémoire fictive » à ceux qui n’ont rien vu et qui s’en inventeront un souvenir: «On sait que jamais on ne pourra, à partir de l’archive, reconstituer l’œuvre, mais on peut fabriquer son sosie, son semblant (...) L’archive de théâtre, c’est quelque chose qui fait de moi, moi qui consulte les archives, qui les scrute et les interroge, une sorte de spectateur différé », analyse l’écrivain Jean-Loup Rivière (Entretien, Lettre de l’IMEC, n°11).
Marguerite Duras fait elle aussi partie de l’ADN du Théâtre de Lorient et d’Éric Vigner qui, depuis La Pluie d’été en 1993, ne cesse de revisiter son œuvre. «La rencontre avec l’œuvre de Marguerite Duras et le travail qui en a découlé sont pour moi fondateurs. J’y ai trouvé le vocabulaire de mon écriture de théâtre. Les questions qui me plaisent dans la vie et au théâtre, que j’aime explorer sur le plateau, sont contenues dans l’écriture de Marguerite Duras, dans toute son œuvre, dont je ne peux pas dissocier les fragments», explique le metteur en scène. De fait, Marguerite Duras n’a jamais cessé d’être présente à Lorient depuis qu’Éric Vigner y a jeté l’ancre, que les pièces de l’auteur soient mises en scène ou pas. Les jeunes académiciens, en résidence à Lorient pour la troisième année consécutive, le savent bien: «Quoi que nous répétions, ses livres étaient toujours sur le plateau.» L’installation d’une bibliothèque Marguerite Duras au Théâtre de Lorient s’inscrit donc comme une suite naturelle des choses, le nouveau chapitre d’une rencontre qui se poursuit depuis aujourd’hui 20 ans.
Mais la bibliothèque Marguerite Duras sera surtout un projet voyageur. D’ores et déjà, les lecteurs du magazine qui possèdent des éditions de Marguerite Duras en langues étrangères peuvent envoyer leurs livres au Théâtre de Lorient, accompagnés d’un mot manuscrit à l’attention de l’auteur. Livres et lettres viendront enrichir la collection d’un lieu qui ressemblera davantage à une installation artistique qu’à une bibliothèque classique. «Il ne s’agit surtout pas d’édifier un mausolée, plutôt de dessiner les contours d’une bibliothèque sentimentale, d’un lieu vivant où chacun peut s’inviter, en toute liberté, pour rendre un peu de ce que Marguerite Duras lui a donné», explique Bénédicte Vigner. Dédié à tous les livres de Marguerite Duras traduits et édités dans le monde entier, édifié comme une Tour de Babel à l’envers qui réunira physiquement et graphiquement une œuvre mondialement diffusée, le «lieu» se découvrira à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur en 2014.
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