Sophie Marceau vue par Christophe Honoré
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SOPHIE MARCEAU ou l’impossible définition, l’incompréhensible parcours · Christophe Honoré
Cinéaste, écrivain, metteur en scène, artiste associé au Théâtre de Lorient, Christophe Honoré signe ici pour nous le premier d’une série de portraits d’acteurs.
Cas unique du cinéma français contemporain. Habituellement, ce n’est pas gênant, pour une actrice, le mystère, l’inconnu. Pourtant, avec elle, cette impuissance à cerner, préciser, cette énigme… devient problème. Et la place à l’écart, disons oui, la met à l’écart. Ça la dédaigne. Il y a un problème SOPHIE MARCEAU dans le cinéma français depuis trente ans. On en fait quoi au juste de cette gamine espiègle découverte en 1980 dans La Boum, capable de substituer à une fiction d’adolescents, un portrait de femme de treize ans ? On en fait quoi ensuite, quand son corps pousse de partout, qu’elle devient plus affolante que Béatrice Dalle et Maruschka Detmers réunies? On en fait rien, on l’abandonne sur une plage dans les bras de quinquagénaires bedonnants, Belmondo ou Brasseur, pour une Descente aux enfers. Un seul se dit que ça ne va pas, que ça cloche, qu’il faut la reprendre en main : Pialat. Alors il le fait, à sa manière, grossière et délicate. Avec son pote Depardieu, ils lui flanquent une paire de gifles pour la ramener au réel. SOPHIE MARCEAU résiste, elle s’élève, elle est plus forte qu’eux cette fois-là. Revoir Police aujourd’hui, c’est reconnaître la puissance de son jeu, sa modernité absolue, loin du naturalisme des bégaiements et des sourires qui font le trottoir. Elle les domine, parce qu’elle est plus que vivante, elle est romanesque. Elle n’hésite pas, jamais, son débit vise le sens de la phrase directement. Et elle fait la gueule, superbement. Pialat l’a compris. Les plus belles scènes du film sont pour elle ; là, la fiction infuse. Il voit qu’avec elle, ses plans ne sont plus vraisemblables mais qu’ils construisent une vérité, une vérité de cinéma. Quelque chose advient dans ce film… ce n’est pas une révélation, c’est déjà une consécration, une actrice rnait.
Les cinéastes jaloux s’écartent, ils se disent qu’ils ne sont pas à la hauteur. Seul un cinéaste polonais n’a pas peur, lui devine que SOPHIE MARCEAU est l’actrice qu’il attendait, plus gaillarde qu’Adjani, plus solide que Romy. Zulawski lui fait des enfants et des films. Dont deux où elle excelle : Mes nuits sont plus belles que vos jours, puis La Fidélité. On commence à cerner quelque chose de SOPHIE MARCEAU, mais c’est une privation. Elle devient l’actrice intouchable, réservée, monopolisée. On en est presque à la plaindre, tant il est tentant de l’imaginer comme la prisonnière du cinéma. Jusqu’au jour où elle se libère, s’affranchit, rompt… Hé hé, l’heure est à l’emballement. On va enfin la voir. On est au mitan des années 90, les jeunes Assayas, Desplechin, Carax, ils vont se précipiter ? Non, c’est Binoche qu’ils filment, ou Devos, pas Marceau. Les vieux Sautet, Téchiné, Chabrol, ils vont se régaler ? Non, c’est Béart qu’ils filment, ou Bonnaire, pas Marceau. Personne ne la filme, elle est dans des films oui, certains de ses films sont des succès, mais personne ne la filme dans ces films là. Pas un plan d’elle, pas une incarnation, pas l’idée d’une idée de l’éventuelle actrice qu’elle est devenue.
SOPHIE MARCEAU était née pour un renouveau, un cinéma français moderne, et non, elle devient un pilier d’un cinéma de papa. La voilà désormais dans les rôles de parents d’élèves. Familiarité et convenance. Gâchis obscur, inconcevable.
Aujourd’hui, on nous parle de théâtre. SOPHIE MARCEAU sur scène. On n’ose pas trop y croire, on se prend à espérer. Qu’elle accepte enfin d’être inquiétée. Que le théâtre fabrique le soupçon au personnage de cinéma qu’elle s’est imposée, un soupçon joyeux et tenace, qui l’oblige à se défendre et trouver un nouvel équilibre, une nouvelle manière d’être actrice. Oui, que le théâtre la force à s’acquitter de ce qu’elle est. Avec affection. Que l’impossible définition SOPHIE MARCEAU, devienne l’infini possible.