L'influence de KAFKA
Préface d'EMMANUEL JACQUART · page 19
Comme nombre d'auteurs de sa génération, IONESCO fut marqué par KAFKA à qui il emprunte l'idée de la transformation de l'homme en monstre. Du récit intitulé LA MÉTAMORPHOSE il retient le caractère inconcevable et insolite de la mutation, point de départ d'un retour de la culture à la nature. Cette régression tératologique inverse donc le processus de la civilisation, celle-ci étant, selon FREUD, le résultat d'une suite de progrès de l'humanité grâce à la maîtrise des instincts destructeurs et la mise à profit de la rationalité.
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GUSTAVE LE BON, PSYCHOLOGIE DES FOULES LA CONTAGION MENTALE · EMMANUEL JACQUART commente RHINOCÉROS d'EUGÈNE IONESCO pages 112,113,114,115.
Le Bon (1841-1931), médecin et sociologue, fut le vulgarisateur de notions de psychologie collective. Dans PSYCHOLOGIE DES FOULES dont Ionesco tira profit pour concevoir RHINOCÉROS, il souligne l'importance des passions et des instincts dans les phénomènes de foule.
Lorsqu'une affirmation a été suffisamment répétée, avec unanimité dans les répétitions, comme cela arrive pour certaines entreprises financières achetant tous les concours, il se forme ce qu'on appelle un courant d'opinion et le puissant mécanisme de la contagion intervient. Dans les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des microbes. Ce phénomène s'observe chez les animaux eux-mêmes dès qu'ils sont en foule. Le tic d'un cheval dans une écurie est bientôt imité par les autres chevaux de la même écurie. Une frayeur, un mouvement désordonné de quelques moutons s'étend bientôt à tout le troupeau. La contagion des émotions explique la soudaineté des paniques. Les désordres cérébraux, comme la folie, se propagent aussi par la contagion. On sait combien est fréquente l'aliénation chez les médecins aliénistes. On cite même des formes de folie, l'agoraphobie par exemple, communiquées de l'homme aux animaux.
La contagion n'exige pas la présence simultanée d'individus sur un seul point; elle peut se faire à distance sous l'influence de certains évènements orientant les esprits dans le même sens et leur donnant les caractères spécieux aux foules, surtout quand ils sont préparés par les facteurs lointains que j'ai étudiés plus haut. Ainsi, par exemple, l'explosion révolutionnaire de 1848, partie de Paris, s'étendit brusquement à une grande partie de l'Europe et ébranla plusieurs monarchies.
L'imitation, à laquelle on attribue tant d'influence dans les phénomènes sociaux, n'est en réalité qu'un simple effet de la contagion. Ayant montré ailleurs son rôle, je me bornerai à reproduire ce que j'en disais il y a longtemps et qui, depuis, a été développé par d'autres écrivains:
"Semblable aux animaux, l'homme est naturellement imitatif. L'imitation constitue un besoin pour lui, à conditions, bien entendu, que cette imitation soit facile, c'est de ce besoin que naît l'influence de la mode. Qu'il s'agisse d'opinions, d'idées, de manifestations littéraires, ou simplement de costumes, combien osent se soustraire à son empire ? Avec des modèles on guide les foules, non pas avec des arguments. A chaque époque, un petit nombre d'individualités impriment leur action que la masse inconsciente imite. Ces individualités ne doivent pas cependant s'écarter beaucoup des idées reçues. Les imiter deviendrait alors trop difficile et leur influence serait nulle. C'est précisément pour cette raison que les hommes trop supérieurs à leur époque n'ont généralement aucune influence sur elle. L'écart est trop grand. C'est pour la même raison encore que les Européens, avec tous les avantages de leur civilisation, exercent une influence insignifiante sur les peuples de l'Orient."