Interview d'Éric Vigner · Pauline Dumora · L'ILLUSION COMIQUE
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Le spectacle n'est pas l'aboutissement d'un travail mais une étape vers un théâtre idéal
Après avoir privilégié des auteurs contemporains tels que jean Audureau, MARGUERITE DURAS et Gregory Motton, pour quelles raions choisissez-vous de monter une pièce du répertoire classique ?
Éric Vigner : je pense que le théâtre classique, enfin, que l'Illusion Comique est le berceau du théâtre jusqu'à nos jours. D'ailleurs, je ne me suis jamais désintéressé des textes classiques, que ce soit on tant qu'acteur ou metteur en scène. Ma première mise en scène professionnelle fut La place royale de CORNEILLE en 1988. C'est vrai, j'ai monté beaucoup de pièces contemporaines ces derniers temps. J'ai donc voulu retourner aux origines avec CORNEILLE. J'ai une certaine attirance pour ce théâtre-là.
En automne 1994, dans Reviens à toi (encore), montée à l'Odéon, de la boue coulait sur les premiers rangs, recouvrant ainsi l'idée du quatrième mur. Face à L'Illusion Comique, comment avez-vous investi l'espace scénique, sachant que votre recherche de non-séparation entre acteurs et spectateurs se poursuit ?
Éric Vigner : Pour ce spectacle, le plateau est complètement nu. Dessus est posée une installation de plaques de verre de un mètre sur deux. Ce dispositif, qui s'apparente à ceux du XVIIe siècle, délimite un espace classique et ouvert. Ainsi la scène devient le lieu des transparences, de tous les possibles. J'ai également donné une grande importance aux regards. Entre le père et le fils, il y a, par exemple, une circulation incessante du regard. Imaginons Pridamant, un père à la recherche de son fils depuis 300 ans. Arrivant parmi les spectateurs, par le haut des gradins, il est invité par un jeune acteur à rentrer sur scène. Il est alors pris par le théâtre et devient acteur à son tour. Il regarde son fils et ses exploits, à l'écart. Mais il reste toujours présent dans l'espace de jeu. Il faut savoir qu'au XVIIe siècle, le mode de représentation a changé. Avant, il ne s'agissait que de perspective italienne. Je me suis donc inspiré de Andrea Del Sarto, architecte du Pont Neuf et de la Place des Vosges, en utilisant une perspective cavalière au sol. Cette conception perpendiculaire et nouvelle correspond à l'univers de L'Illusion Comique.
Avez-vous eu la même volonté d'épuration pour ce spectacle que pour les précédents ? Si oui, êtes-vous parvenu à la "blancheur" que vous convoitez ?
Éric Vigner : J'ai toujours ce désir de blancheur bien sur, mais je crois qu'on n'y parvient jamais. Je sais que c'est une utopie. C'est un but tellement ultime ! Je rêve d'un maximum de théâtre avec un minimum de démonstrations et un minimum de jeu; le tout dans un espace vide. Pour moi, ce serait ça la quintessence du théâtre.
L'Illusion Comique se réfère à l'Espagne, à l'Angleterre et s'inspire à la fois de la pastorale, de la farce, des mystères, de la tragédie et de la Commedia dell'Arte, personnifiée par Matamore; quel est votre parti pris pour saisir l'infinie densité de l'oeuvre?
Éric Vigner : J'ai choisi un parti pris linéaire. Le fil conducteur du spectacle est cette prise de relais des acteurs par rapport à l'histoire. Je vois toujours beaucoup de formes de théâtre, mais je ne sais pratiquement jamais à quoi elles font référence. Matamore est un personnage de pure langue classique. Dans la Commedia dell'Arte originelle, le jeu d'un Matamore, comme de tons les personnages dont il est "cousin", s'élabore grâce à des improvisations qui reposent sur un canevas précis. Une telle réglementation au niveau de l'interprétation ne m'a pas semblé nécessaire. Je ne suis pas dans la rigueur classique. J'ai pris simplement parti de travailler à partir de l'acteur et de la parole issue de la comédie.
S'affronter à CORNEILLE, autrement appelé le génie de l'ordre, semble nécessiter de la rigueur. Par quelles étapes êtes-vous passé dans l'élaboration de votre mise en scène?
Éric Vigner : Le fait que L'Illusion Comique soit un chef-d'œuvre ne m'a pas fait peur, puisque c'est avant tout un texte. J'ai affronté cette pièce comme si l'on avait jamais rien dit dessus, comme si elle avait du mal à faire sens à sa culture. Le travail autour de la langue demande une grande concentration sur l'histoire, à travers l'Alexandrin. Mais vous savez, le metteur en scène n'est rien. C'est l'auteur qui pose des philosophies et des points de vue, c'est de lui que tout naît. Pour moi, le metteur en scène est au service du texte par une sorte de renoncement. C'est la seule chose qu'il a à faire.
Quant à l'interprétation, est-elle née d'une recherche libre des comédiens, ou s'appuie t-elle sur le texte, sur les caractères des personnages?
Éric Vigner : Je ne demande pas aux acteurs de travailler sur les caractères, seul le texte m'intéresse. Il faut qu'ils s'en imprègnent et qu'ils puissent le jouer n'importe où. De là se sont créées des marges d'improvisations. Mais vous verrez, la mise en scène est simple, il n'y a rien d'extraordinaire. Les comédiens sont dans l'état suivant : ils ne veulent ni ne savent quoi que ce soit.
On dit "jamais deux sans trois"... Alors après La Place royale et L'Illusion Comique, à quand le prochain CORNEILLE?
Éric Vigner : Avec L'Illusion comique, j'ai signé à la suite trois mises en scène de textes classiques. Avant CORNEILLE, j'étais plongé dans RACINE avec Bajazet qui a été joué à la Comédie Française. Maintenant je vais revenir au moderne. J'ai trois spectacles en prévision : d'abord Le procès Brancusi contre les Etats-Unis, puis Hiroshima, mon amour et enfin, je reprendrai La pluie d'été, car j'admire Marguerite Duras.
Interview de ÉRIC VIGNER, Propos recueillis par PAULINE DUMORA
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