Lorient, vendredi 3- août 2001
La répétition s'arrête très tôt.
Notes et gros plan sur quelques parties du corps :
1. Pied
"Le pied gauche était posé en avant, et le droit, qui se disposait à le suivre, ne touchait le sol que de la pointe de ses orteils, cependant que sa plante et son talon s'élevaient presque verticalement. Ce mouvement exprimait à la fois l'aisance agile d'une jeune femme en marche, et un repos sûr de soi-même, ce qui lui donnait, en combinant une sorte de vol suspendu à une ferme démarche, ce charme particulier". (P10 11 )
" Il s'agissait pour lui de porter un jugement critique : la démarche de Gradiva, telle que l'avait reproduite l'artiste, était-elle conforme à la vie ? Mais il ne réussissait pas à tirer cette question au clair, et sa riche collection d'œuvre d'art de l'antiquité ne lui était à ce sujet d'aucun secours. La position presque verticale du pied droit lui semblait être exagérée. Chaque fois qu'il en avait fait lui-même l'expérience, le pied qui restait en arrière pendant son mouvement se trouvait toujours dans une position moins verticale ; pour le formuler mathématiquement, pendant le court instant où le pied demeurait en place, le sien ne faisait avec le sol qu'un demi-angle droit, ce qui lui semblait à la fois plus naturel et plus propre au mécanisme de la marche. Il profita même, une fois, de la présence d'un jeune anatomiste de ses amis. pour lui poser la question, mais celui-ci aussi fut incapable de trancher définitivement. parce qu'il n'avait jamais fait d'observation à ce sujet. L'expérience étant répétée, son ami lui trouva le même résultat, mais il ajouta qu'il ne saurait dire si la démarche féminine se distinguait de la masculine, et la question ne fut pas résolue (p.14-15)".
Immanquablement Marcher appelle Mars Gradivus, le dieu de la guerre, s'en allant au combat et qui donne son nom à l'héroïne de Jensen, "celle qui marche", celle qui se révélera, à la fin, au milieu des ruines de Pompéï, être Zœ́ Bertgang (la vie...), déjà rencontrée. La nouvelle de JAMES est contemporaine du texte commenté par Freud mais rien ne semble attester qu'aucun des deux écrivains ait eu vent des travaux de l'autre. Sans doute JAMES a-t-il pu avoir connaissance, par son frère William, membre de la Société londonienne de Recherches psychiques, des recherches de Freud, encore discret jusqu'en 1903, date à laquelle La Bête est publiée.
2 .Dos
"J'avais eu un accident... (Henry james, Lettres, 1902)". "Une blessure horrible bien qu'obscure...(Notes of a Son and Brother, 1914)".
Printemps 1861. Au cours d'un incendie Henry James est blessé. Il souffrira toute sa vie d'une claudication et d'une dorsalgie.
La bête bondit dans le dos.
Dos = surface invisible (secrète, cachée, suggérée, désignée, ignorée), point aveugle. Quelle direction pour le regard ? Qu'est-ce qui se montre ? Qu'est-ce qui se peint ? Est peint ?
- C'est le quatrième marquis de Weatherend, peint par Van Dyck.
Dos = mouvement circulaire continu ? interrompu ? - retournement, inversion (être de dos) - l'invisible devient visible : qu'est-ce qui a été peint ?
- Il croyait en Cromwell comme d'autres à autre chose.
Les tableaux sont d'une armature légère. Ils peuvent être portés sans effort. Si on les fait pivoter, si on les présente par le dos, on aperçoit, en transparence, les personnages du portrait, inversés, et leur chassis.
(Le tableau de Van Dyck est d'abord pris dans le mouvement de l'Histoire, ancré dans un espace-temps signifiant qui peut induire une certaine perspective de lecture).
Dos = point de dépravation des perspectives (détour, distraction, séduction, utiliser une surface réfléchissante pour voir ce que l'on a derrière soi - comme Persée, tenant le bouclier d'Athéna pour échapper au regard pétrificateur de Méduse -, déformation de la vision par changement, déplacement des points de vue).
3. Œil
De quelques incertitudes possibles : Le plateau est construit de façon à proposer aux spectateurs une aventure oculaire : le regard affronte les incertitudes de l'image, les pièges de la perspective.
Le rideau de bambous représente bien un tableau de Fragonard. Au début du spectacle, quelqu'un se tiendra derrière ce rideau (?) et sans doute, de par la rondeur des perles qui le composent, offrira-t-il à chaque spectateur un point de vue particulier. Le rideau devient mobile chaque fois qu'on l'effleure et propose alors d'autres illusions d'optique.
Sans les lumières du spectacle, au début de ces répétitions, le paysage de Fragonard n'apparaît pas. Bruno explique que le noir de l'encre de Chine est perçu comme un vide, un trou, qui se confond avec l'arrière-fond obscur du plateau. Il prend des photographies numériques : l'effet est exactement celui recherché ; l'écran présente ce que l'on voudrait voir à l'œil nu - le noir est une couleur, l'image est perceptible, on reconnaît le paysage.
Les bruits associés aux différentes matières peuvent aussi troubler, transformer la vision.
Persée ?