Francesco Cavalli : un compositeur de la Venise du Seicento · Sylvie Mamy · LA DIDONE
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FRANCESCO CAVALLI : UN COMPOSITEUR DE LA VENISE DU SEICENTO.
SYLVIE MAMY
Venise · Juillet 1997
PIER FRANCESCO CALETTI naquit le 14 février 1602 à Crema, une petite ville qui appartenait alors au territoire de la Sérénissime. FEDERICO CAVALLI, un magistrat vénitien - dont le compositeur empruntera le nom en 1639 -, prit le jeune garçon sous sa protection et l'envoya perfectionner ses études musicales à Venise. Ainsi, à l'âge de quinze ans, CAVALLI entra-t-il dans le choeur de San Marco, dirigé par le grand CLAUDIO MONTEVERDI. Il mena toute sa carrière dans la prestigieuse chapelle musicale des doges, chanteur d'abord, puis organiste, pour arriver enfin, en 1668, au poste suprême de maître de chapelle.
En 1637, lorsque s'ouvre le théâtre San Cassiano aux représentations publiques d'opéra, CAVALLI n'est encore que second organiste à San Marco. Il a 35 ans; MONTEVERDI 72.
L'initiative est une première mondiale. Elle remporte un énorme succès. Dans la foulée sont inaugurés sur la lagune cinq autres théâtres d'opéra. Le public se passionne aussitôt pour ce genre de spectacle: les patriciens qui achètent les loges et les transmettent à leurs héritiers, les ambassadeurs étrangers, les hôtes de marque, les bourgeois qui entrent au théâtre une ou deux fois par an, les gondoliers qui sont librement acceptés au parterre. Les riches familles, propriétaires de ces édifices, rivalisent entre elles dans la beauté et le luxe des salles et des loges, la féérie des décors et des machineries, et bientôt l'engagement des meilleurs chanteurs d'Italie. Des femmes d'abord, rapidement supplantées par des castrats, qui deviennent les vraies vedettes du spectacle d'opéra, faisant monter leurs cachets à des prix exorbitants.
FRANCESCO CAVALLI se lance dans l'aventure: il écrit une trentaine d'opéras pour le San Cassiano - dont il assure une partie de la gestion, comme le fera VIVALDI, au siècle suivant, au Sant'Angelo -, Sant Giovanni e Paolo, le Sant'Appolinaire, théâtres de formes "académique", et les deux petites salles du San Moisé et du San Salvatore. Les livrets - fondés sur des sujets mythologiques, historiques ou romanesques - lui sont fournis par les meilleurs poètes du moment, BUSENELLO - auteur de LA DIDONE - MINATO et FAUSTINI.
Les premiers opéras de CAVALLI subissent incontestablement l'influence de MONTEVERDI, dans l'écriture, les formes (DIDONE est encore un opéra avec choeurs, même si ceux-ci sont peu nombreux et brefs), et l'esthétique (le chant de CASSANDRE est directement inspiré du célèbre LAMENTO D'ARIANNA) . Mais, pour CAVALLI, il s'agit de gommer les aspects hérités de musiques scéniques des décennies précédentes, destinées aux cours princières de Florence, Rome, Mantoue... Il lui faut façonner un vrai spectacle de théâtre, resserré autour d'une dramaturgie et respectant les règles de la tragédie. CAVALLI s'adresse à un spectateur et non plus au prince. Ses personnages, surtout les rôles de femmes, comme DIDON, sont fortement caractérisés et analysés avec finesse.
Il introduit dans sa musique des éléments que tout le monde peut reconnaître (les airs du rôle comique de SINONE GRECO contiennent les thèmes de chansons populaires et la brève sinfonia navale qui accompagne l'apparition de NEPTUNE est un mouvement de barcarolle, de saveur moderne. Le spectacle d'opéra se concentre de plus en plus sur le chanteur et c'est le chant qui, progressivement, va devenir le réceptacle de la théâtralité, tant dans le récitatif qui se fait plus éloquent, plus expressif, plus souple (CREÜSA : Enea, Enea, non v'è più rempo) et plus varié aussi (voir la partie d'ASCANIO, quand le garçon cherche à retenir son père, où CAVALLI alterne le récit déclamé et l'arioso mélodique), que dans l'aria qui se referme sur elle-même et s'organise déjà avec sa reprise à da capo, afin de permettre à l'interprète de faire montre de ses capactiés d'improvisation et de sa virtuosité vocale.
FRANCESCO CAVALLI doit être considéré comme le fondateur du DRAMMAPER MUSICA vénitien. Il pose les fondements d'un genre profondément ancré dans les traditions sociales et culturelles de la Sérénissime, genre farouchement insulaire, qu'un siècle plus tard les napolitains tranformeront en un style international, portant à leur paroxysme tous les aspects inventés à Venise.
On connaît peu le caractère de FRANCESCO CAVALLI. Après la mort de sa femme, en 1652, le compositeur vécut avec ses deux soeurs dans son beau palais de San Vidal, sur le Grand Canal. Il écrivit une messe de Requiem pour ses propres funérailles et rédigea son testament le 12 mars 1675 (aujourd'hui conservé à l'Archivio di Stato, à Venise). Il demanda qu'on prenne grand soin de ses manuscrits.
Une partie d'entre eux fut léguée à son élève préféré, DON GIOVANNI CALIARI. Les autres passèrent rapidement au procurateur vénitien MARCO CONTARINI qui avait une très riche villa sur la Brenta, à Piazziola, près de Mantoue. Plus de vingt-cinq opéras, provenant de la collection Contarini, furent légués au XIXè siècle à la Bibliothèque Nationale Marcian, à Venise.
Ces manuscrits, toutefois, ne sont qu'un canevas. Ils ne donnent qu'une vision fort partielle de la façon dont étaient exécutées ces oeuvres à leur époque, dirigées, depuis son orgue ou son clavecin, par le compositeur lui-même. La basse continue n'y est représentée que par une ligne qu'il faut compléter avec clavecins, orgues, théorbes, violoncelles, harpes, bassons... La mélodie, à son tour, devait être embellie par les chanteurs.
Malgré la gloire européenne qu'il connut à son époque (rappelons-nous qu'il fut invité par MAZARIN à la cour de France), CAVALLI fut rapidement oublié après sa mort, en janvier 1676. Si dès la fin du XIXème siècle, on commença à mettre en lumière la valeur de ce grand maître, on peut dire que le revival des opéras de FRANCESCO CAVALLI ne commença pas avant 1960, dans le sillage de la redécouverte de l'oeuvre de MONTEVERDI et de la musique dite "baroque".
Les recherches menées aujourd'hui par les musicologues sur ce répertoire permettent de mieux comprendre la beauté de ces chefs-d'oeuvre qui, loin d'être des objets d'archéologie sans âme, trouvent en nous leur source, touchent notre sensibilité et parlent directement à notre coeur.