La Montagne
5 décembre 2003 · R. DUCLOS.
Divines et si peu divas
CATHERINE SAMIE et CATHERINE HIEGEL, divines à la scène et simplement femmes en coulisses. L'humilité est aussi vertu comédienne, chez les vrais artistes.
INSÉPARABLES ! Elles s'aiment, elles aiment et sèment DURAS à tout vent. D'abord comment effeuiller MARGUERITE sans amour ? Car les deux CATHERINE, SAMIE et HIEGEL, ne jouent pas DURAS, pas plus qu'elles ne se la jouent. Elles la vivent, l'accouchent, l'inventent chaque soir davantage. Plus vraie, plus insaisissable, plus familière. Avec cette intimité presque intolérable, plus viscéralement inadmissible et à la fois distante, traversée d'aristocratiques trivialités.
Les deux comédiennes vivent avec bonheur leur ménage à trois. Sans dominant ni dominés. Elles tutoient DURAS mais elles la respectent. La Grande CATHERINE - SAMIE - avoue non sans fierté sa totale dépendance envers sa cadette homonyme, et reconnaît sans fausse honte tout lui devoir. "Elle m'aide énormément. Elle sait même mon texte par coeur et peut à tout moment me relancer," CATHERINE HIEGEL décrypte dans un filet de voix échappé entre les lèvres pincées sur une cigarette et la flamme du briquet : "Je la connais depuis trente-cinq ans...Je l'ai même mise en scène I"
CITRONS
Et pas jalouses de leur image, nos deux divas après l'aventure ferroviaire Paris-Clermont qui leur a mis la tête comme un filet de citrons. L'une s'en fiche comme de son premier rouge à lèvres, et son alter ego s'en moque au point en pareil cas de confondre l'avenant avers de son anatomie avec le revers qu'elle affirme au moins aussi séduisant. Les monstres sacrés ne seraient-ils plus ce qu'ils sont ? Ils sont simplement vrais et ne se font pas prier pour se faire tirer le portrait. Photo maestro ! On n'est pas sincère sur scène pour mentir en coulisse.
On ne se frotte pas impunément deux ans durant à DURAS. Et l'humilité est plutôt une question d'éthique les concernant. Cette paire de CATHERINE est authentique. Comme l'univers durassien qu'elles regagnent tous les soirs depuis plus d'un an. Comme au premier jour. Avec les mêmes angoisses, un stress égal, aigu.
"C'est une écriture qui ne laisse pas place aux automatismes, au contraire des alexandrins avec lesquels vous avez toujours obscurément l'impression d'avoir oublié d'éteindre la lumière en sortant." "Avec DURAS, on n'apprend pas son texte, on l'écrit," vous convainc CATHERINE HIEGEL. "Ça part dans tous les sens. Un vrai chaos. On y parle de tout et de rien dans un apparent désordre mental, sans la moindre possibilité de s'appuyer sur une quelconque logique."
Le grand art des faux-semblants ? Tout y est en fait redoutablement structuré, prémédité, orchestré, s'accordent à reconnaître les deux sociétaires de la Maison de Molière. "DURAS agit de façon souterraine", prévient la cadette. "Ce qui laisse à chaque spectateur toute latitude pour imaginer sa propre pièce, pour la rebâtir en toute liberté selon la mémoire affective qui lui appartient.
Et l'on éprouve toujours une sensation différente." Changeant comme une femme diront les allergiques à l'univers durassien. Une pathologie qui s'accorde surtout au masculin. Comme par hasard, l'homme est le grand absent de SAVANNAH BAY, souligne sur un ton un rien moqueur CATHERINE SAMIE. "C'est pour cela que nous allons de ville en ville", se fend sa complice d'un rire au diapason. Féministe mais pas tout à fait androphobe, elle accorde du bout des lèvres un sauf-conduit à la variété du mâle sensible, blessé ou qui a conservé la chaleur de la mémoire matricielle. "Sarkozy exclu !", se reprend-elle.
GAUCHISTE
"Si tu continues tu seras privée de Légion d'honneur..." prévient SAMIE. "M'en fous, c'est déjà fait, vu que je l'ai refusée deux fois et je suis cataloguée "dangereuse gauchiste" au ministère de la Culture! À la limite, j'aurais bien accepté, mais avec un chèque à la clef.", balance-t-elle provocante, avant de préciser qu'elle ne romprait pour rien au monde ce voeu du refus scellé avec son père. "Mais toi tu l'as !" lance-t-elle narquoise à l'adresse de sa consoeur. "Moi j'accepte tout au nom de la Comédie Française..." s'excuse l'intéressée. "Même de travailler gratuitement !", taquine affectueusement CATHERINE Hiegel. "Payées deux fois par erreur la saison demière, nous remboursons on nous produisant gratuitement cette année." explique-t- elle. "De toute façon, comme tous bons fonctionnaires, nous pleurons misère."
Et tous les pensionnaires du "Français" sont sur un pied d'égalité, qu'ils récitent deux milles vers ou deux mots, qu'ils aient le premier rôle ou se contentent de la réplique bateau du type "Madame est servie...". Sans compter les "feux". Appellation délicieusement archaïque désignant les cachets, souvenir d'un temps où les comédiens recevaient un fagot de bois pour chauffer leur loge ! La contrepartie, irremplaçable, est de pouvoir travailler avec les plus grands auteurs, metteurs en scène et comédiens. "Ça n'a pas de prix !" claironnent-elles en coeur.