Le Monde Aden · 11 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
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Le Monde Aden
11 septembre 2002 · HUGUES LE TANNEUR
Éric Vigner sous l'œil de Duras
"Le metteur en scène, c'est MARGUERITE DURAS. Moi, j'essaie juste de créer un espace. Rien de solide, plutôt quelque chose de l'ordre de l'impalpable, sur lequel on ne peut pas s'appuyer."
À bien l'écouter, ÉRIC VIGNER ne serait absolument pour rien dans la mise en scène de SAVANNAH BAY de MARGUERITE DURAS, qui ouvre cette nouvelle saison de la Comédie-Française - la première à être entièrement conçue par son nouveau directeur MARCEL BOZONNET. De même, à propos de CATHERINE SAMIE et de CATHERINE HIEGEL qui interprètent les deux personnages de la pièce, ÉRIC VIGNER insite: "Je n'ai pas la prétention de diriger ces deux actrices".
Pourtant, on aurait tort de crier à la démission. Car c'est le texte de MARGUERITE DURAS qui, selon lui, commande cette attitude, ce retrait prudent. C'est seulement dans cette disponiblité et dans cette ouverture que peut advenir ce que les mots seuls de l'auteur sont appelés à libérer. "Plus qu'un auteur de théâtre, MARGUERITE DURAS est d'abord un écrivain.Elle est plus proche du livre que de a scène. Avec elle, il n'est pas question de s'appuyer sur une quelconque forme de représentation forme de représentation, c'est infini."
Or, c'est justement à partir de là qu'il faut créer. "Avec elle, on n'a pas le choix, on est obligé d'exercer son métier d'artiste", ajoute ÉRIC VIGNER.
Pour ce metteur en scène et comédien, directeur depuis 1995 du très fécond centre dramatique de Bretagne à Lorient, le théâtre est d'abord questionnement. "Poser la question de la représentation, de la forme, c'est ça qui me préoccupe avant tout." Une attitude dont il trouve l'écho dans l'œuvre de MARGUERITE DURAS. Une œuvre qu'il connaît bien. "Quand j'ai besoin de me ressourcer, c'est vers elle que je me tourne, avoue-t-il. C'est une écriture qui agit sur vous lentement mais sûrement. Qui est en connexion avec un imaginaire très concret, très fort. Le sentiment est au centre. Le sentiment d'exister, d'aimer, et de la présence inexorable de la mort."
En 1993, avec LA PLUIE D'ÉTÉ, il monte pour la première fois un texte de MARGUERITE DURAS. Une amitié naîtra alors avec l'écrivaine. "Une fois, elle m'a demandé si je voulais qu'elle me donne un texte pour le mettre en scène. Je lui ai répondu que la seule chose d'elle que j'avais envie de créer au théâtre, c'était HIROSHIMA MON AMOUR." Le projet ne sera pas réalisé, mais il trotte encore dans la tête d'ÉRIC VIGNER, qui a bien l'intention de le mettre prochainement à exécution.
En attendant, après avoir monté LA BÊTE DANS LA JUNGLE d'après HENRY JAMES, dans une adaptation de JAMES LORD mise en français par MARGUERITE DURAS, il s'affronte à ce morceau énigmatique qu'est SAVANNAH BAY. Une pièce que DURAS elle-même avait déjà mise en scène en 1984 avec les comédiennes MADELEINE RENAUD et BULLE OGIER.
La pièce confronte une comédienne en fin de parcours à une jeune femme venue la visiter. De leur rencontre vont remonter peu à peu des souvenirs que la vieille dame gardait enfouis dans sa mémoire : son enfant morte, il y a bien longtemps, noyée dans le Mékong, et l'histoire vibrante d'une nuit d'amour.
"Tout repose sur les deux actrices, observe ÉRIC VIGNER. CATHERINE SAMIE a ce parcours incroyable - quarante ans de Comédie-Française! C'est comme si la pièce avait été écrite pour elle. Son expérience m'a beaucoup apporté."
Car SAVANNAH BAY, c'est l'histoire d'une transmission qui se nourrit ici de la propre histoire des comédiennes. Tout part d'elles, et c'est là qu'est la force de cette écriture construite sur l'oubli.
"L'acteur, c'est quelqu'un qui a affaire à des fantômes, tout comme le personnage de la pièce. Au début, c'est comme si elle ne voulait pas se souvenir. Et puis, cela émerge à partir d'objets, de petites choses qui provoquent des impulsions. Alors elle se souvient, elle revit les éblouissements de l'amour. Jusqu'à ce que cela retombe. C'est comme le mouvement de la mer ou la variation de la lumière. Cela naît et cela meurt à chaque fois. C'est un processus qui touche au plus intime de nous-mêmes. C'est comme un jaillissement qui vient du plus profond de l'obscurité pour apparaître dans la lumière. C'est pour ça que l'espace doit réfléchir, filtrer, impressionner ou renvoyer la lumière."
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