La Tribune · 26 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
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La Tribune
26 septembre 2002
"Savannah Bay" ou l'amour jusqu'à en mourir
Juste un grand rideau doré qui traverse la scène et renvoie des lumières comme autant de larmes étincelantes. Derrière, on peut imaginer le flou d'une histoire enfouie dans une zone sombre, encore inaccessible.
En imperméable translucide blanc, comme on en porte dans les pays tropicaux pour se protéger des averses, Catherine Hiegel apparaît, fixe les spectateurs, leur fait quelques confessions jusqu'à lâcher aux uns et aux autres : "Savannah Bay, c'est toi.." Accordéon. "C'est fou ce qu'je peux t'aimer...", chante ÉDITH PIAF (LES MOTS D'AMOUR). Les ors du voile laissent la place à un rideau de perles scintillant de rouge et de blanc. Derrière, dans l'ombre, assise, Catherine Samie demande : "Qu'est-ce que c'est...un disque ?" "Une chanteuse qui est morte... ", répond fermement, mais non sans tendresse, la jeune femme (HIEGEL). La vieille dame (SAMIE) s'approche d'elle tout en continuant cette discussion sur celle qui chante, sur la vie de comédienne chaque soir, sur l'identité de celle qui vient tous les jours la voir, sur ce qui s'est passé à Savannah Bay... Le traumatisme de l'amour et de la mort fait son travail de sape. Creuse une mémoire qui n'arrive pas vraiment à reconstruire le passé, qui ne sait plus faire le ménage entre vérité et mensonge.
Une terrible émotion
Il ne faut pas longtemps pour être saisi par une terrible émotion en écoutant les deux Catherine, en suivant leur jeux. De ces deux comédiennes hors normes, on ne peut être surpris, si ce n'est que l'on reçoit leur talent en pleine figure, dès le début du premier round, Et l'on est immédiatement aimanté par ce texte que la mise en scène et la scénographie inspirées d'ÉRIC Vigner font entendre comme un chant a cappella.
Ce patron du théâtre de Lorient se joue des dimensions de la salle Richelieu de la Comédie-Française. La pièce SAVANNAH BAY - MARGUERITE DURAS entre ainsi au répertoire de la maison de MOLIÈRE - et pourtant une petite musique forte en silence, un duo sans bavardage, même s'il ne cesse de questionner la mémoire, l'identité, le théâtre. "La séparation de l'audible et du visible fait un effet de silence, car le récit passe à la trappe, n'appartenant qu'à des mémoires qui ne sont ni les nôtres ni celles des vrais personnages", écrit François Regnault, l'un des plus percutants spécialistes de la scène, dans le deuxième tome de ses Écrits sur le théâtre (1), pour évoquer Marguerite Duras.
Dans SAVANNAH BAY, ÉRIC VIGNER enchaîne les plans-séquences, des pas de deux jonglant avec le principe d'incertitude. Qui joue? Quelle histoire? Tout cela est du grand art. À deux voix sur la scène. Et quelles voix!
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