Ouest France
17 février 1996 · Yannick BUTEL
L'illusion comique sous l'oeil de VigneR
Avec L'illusion comique, un "étrange monstre" dira Pierre Corneille, le metteur en scène Éric Vigner a choisi de faire raisonner un poème dramatique pendant deux heures trente au théâtre de Caen, jeudi et vendredi.
A la frontière du baroque et du classique, les limites deviennent incertaines.
Du rire, des respirations alertées, des mots qui balaient l'ennui, L'illusion comique est certes un plaidoyer sur le théâtre, mais son essence est d'abord extraite d'une perception accrue de ce qu'il y a d'humain dans l'humanité. L'oeuvre est donc angoissante, tragique. fuyante, sombre... récalcitrante aux règles de la bienséance et de la vraisemblance. "L'illusion" se met au travers d'un théâtre, disons-le avec des mots d'aujourdhui, écologique dans sa contemplation de la nature.
Contre cela, "L'illusion" vient à la scène dire que le monde n'est pas sans liens avec la folie, le meurtre, la vengeance, la trahison... Que la vie est changeante et inquiétante comme le modelé d'un masque de la Commedia del'arte montré par Vigner. Et que l'incertitude gouverne à la vie de l'homme, que l'amour divise ou unit. Voilà pour le théâtre dans le théâtre... illusion d'une illusion.
Mais "L'illusion" en plus de l'incontournable présence des comédiens, c'est une scénographie signée Vigner et Claude Chestier, confondue dans l'action. Des glaces sur des plots de plâtre hantent la scène. Un dédale de reflets et de miroirs qui provoquent un enchevêtrement des mouvements, une pause dans l'orientation. Et aussi une déformation de l'ordre d'une paraplégie atteignant le théâtre, l'acteur, son corps sinueux aux contours incertains. Quant au coeur de la scène, ce centre évidé fosse d'orchestre (lieu de séjour du quatUOR MATHEUS) et trou de fossoyeur lui rappelle quelques vanités.
Or, là paraît l'attraction pour la peinture qui a sans doute guidé à la mise en forme de ce travail. La recherche d'une peinture que Vigner fixe dans un geste qu'il amène du côté de la pantomime. C'est-à-dire l'art de rendre au silence tout son sens. L'ultime sens que Vigner donne à Pridament, le contemplateur, le père attentif et muet, qui fait signe à la toute fin de "L'illusion" que le théâtre se retire non sans avoir tracé quelques desseins dans les esprits.
Pas un moment Vigner n'aura hésité sur la priorité et l'importance qu'il fallait donner au regard et à l'oeil dans cette "Illusion" qui conduit directement à s'interroger sur la représentation du monde et de ses âmes. Cet oeil qu'on sait à l'origine de toute transgression, de tout désir... de toute effraction. Un oeil qui est, c'est là l'adresse de Vigner et de ses comédiens, le complément essentiel du discours, au théâtre.