Note d'intention · Éric Vigner · BAJAZET
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Description du doc
Il fallait s'intéresser à Bajazet comme poème dramatique et à RACINE comme poète. Et dans ce poème dramatique, ne privilégier qu'une chose et une chose seulement : l'alexandrin. La tragédie se constituant comme le Sérail, d'une multitude de petites unités : 1749 exactement. Bajazet est la tragédie des 1749 ! (Andromaque, celle des 1648, Bérénice...), alternance deux-en-deux du féminin et du masculin.
La tragédie, ça veut dire pour l'acteur de trouver le courage, la force et l'abnégation, l'inconscience de commencer cette terrible et inéluctable addition d'alexandrins : 1 + 1 et ainsi de suite jusqu'à la fin.
La tragédie se situe entre le premier et le 1749e alexandrin, entre : "Viens suis-moi, la Sultane en ce lieu se doit rendre" et "Que ne puis-je avec elle expirer de douleur". Si Bérénice est la tragédie du "Hélas", Bajazet est sûrement celle du "Enfin". Quand ça commence c'est déjà fini. Il y a bien un mouvement de flux et de reflux qui se répète comme un mouvement perpétuel mais sans avancée aucune. C'est un leurre de croire qu'il y a un développement. Il n'y en a pas.
La tragédie est une énigme qui échappe à toute résolution, à toute réalité autre que le réel du théâtre. Ce qui compte c'est de travailler le théâtre. De refaire le parcours. De retourner sur les traces. Pas de résoudre l'énigme.
On travaille (comme on parle du "travail" dans l'accouchement) en sachant que ce qui nous intéresse, nous émeut, nous fait travailler justement, n'est pas essentiellement ce qui se développe dans les vers mais aussi entre. Dans cet espace innommable, indéfini, où RACINE, l'auteur, le metteur en scène, l'acteur et le spectateur doivent plonger pour pouvoir revenir à la surface du langage, du sens, de l'alexandrin et poursuivre avec le suivant et ainsi de suite jusqu'à la fin. C'est cet espace que revendique Peter Handke dans le Non-sens et le bonheur :
"Par une froide, une indescriptible journée quand il ne veut faire ni clair, ni sombre, que les yeux ne veulent ni s'ouvrir, ni se fermer que les choses familières ne rappellent plus la vieille confiance dans le monde et que, devenues nouvelles, elles ne ramènent pas, par enchantement le sentiment du monde — ce sentiment poétique, deux en un, du monde — quand il n'y a si, ni mais, ni jadis et pas d'alors encore quand l'aurore s'est oubliée et que le soir n'est pas imaginable encore et que sur les arbres, sans mouvement, à de rares intervalles, une branche rejaillit — comme si elle s'était allégée de quelque chose, par une telle, indescriptible journée tout à coup dans la rue, entre deux pas, le sens s'est perdu."