L'ENSATT (rue blanche) fête ses 70 ans en 2011
ÉRIC VIGNER · Novembre 2010
L'ENSATT (rue blanche) 1985 à Paris. Cela veut dire pour moi quitter pour la première fois la Bretagne natale et faire l'apprentissage du théâtre à l'école avec la perspective de devenir acteur, d'exercer mon métier et de pouvoir en vivre.
En désordre dans ma mémoire me reviennent des moments qui resteront fondamentaux pour ce qui allait suivre. Comme ce travail obsessif que je voulais réaliser sur "le non sens et le bonheur" de Peter Handke édité dans un petit livre de poésie "Poème bleu" paru chez Christian Bourgois et traduit avec grâce par Georges-Arthur Goldschmidt. Faire et refaire inlassablement devant mes collègues intrigués les quelques pages de ce texte. Ce poème arpentait l'expérience des premières fois, de toutes les premières fois, les plus banales, les plus anodines et par là même les plus importantes car vécues en conscience.
Des premières fois j'allais en vivre dans la découverte et la connaissance de littératures inconnues jusqu'alors. Tout s'ouvrait, tout se libérait. Et cela par la grâce d'avoir eu la chance d'être reçu dans cette école situé pas loin de la place Pigalle et de l'atmosphère d'interdit d'un quartier désormais touristique mais qui pouvait encore agir sur un jeune homme qui "montait" à Paris.
En vrac, ce sera aborder pour la première fois l'oeuvre de Marguerite Duras par "la maladie de la mort" qui venait d'être édité aux éditions de minuit et commencer sans le savoir avec elle un long compagnonnage qui provoquera la rencontre avec l'auteur quelques années plus tard à l'occasion de la mise en scène de son livre "La pluie d'été". Ce sera la découverte de l'art de la mise en scène et du théâtre savant: Corneille avec Brigitte Jaques et François Regnault parallèlement à la lecture de Lacan, Foucault, Deleuze. Ce sera voir "Félicité" de Jean Audureau à la Comédie-Française mis en scène par Jean-Pierre Vincent. C'était une très "belle époque" du théâtre en France, riche, stimulante, inventive, contrastée et l'on avait la possibilité en tant que jeune étudiant d'appréhender le travail de grand metteurs en scène: Vitez, Chéreau, Mnouchkine, Brook, Strehler, Wilson, Zadek, Grüber. C'est pendant cette année-là que j'ai pris la décision de devenir metteur en scène. Ce sera aussi sortir tous les soirs et pénétrer ces lieux mythiques aux noms magiques: Chaillot, l'Odéon, la Comédie-Française, la Cartoucherie, le Théâtre de Gennevilliers, celui d'Aubervilliers et Nanterre Amandiers. Ce sera rencontrer et se faire des amis qui comme moi venaient d'ailleurs pour devenir acteur: Maria de Medeiros et vivre avec elle l'aventure fabuleuse d'Elvire Jouvet 40 ou bien François Morel que je devais retrouver par la suite pour ma première mise en scène "La Maison d'Os " de Roland Dubillard en 1991 et bien d'autres choses encore...
J'y suis resté un an à l'ENSATT avant d'entrer au CNSAD mais "la rue blanche" restera dans ma mémoire comme l'expérience initiale du commencement.