Entretien entre Ginette Noiseux et Anne-Marie Cadieux · SEXTETT
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SEXTETT
Entretien avec ANNE-MARIE CADIEUX / CLAIRE
« Tu veux faire un enfant maintenant? » Claire
GINETTE NOISEUX:
Quand ESPACE GO t'a proposé le projet de partir en France pendant trois mois, ton agenda était super chargé. La décision n'a sans doute pas été facile à prendre. Un ami comédien t'a dit : « Si on a choisi de faire ce métier-là, c'est pour vivre ce type d'aventures ».
ANNE-MARIE CADIEUX :
Oui, il n'y a pas beaucoup de métiers qui permettent de recevoir des propositions comme celle-là. C'est une expérience exceptionnelle pour une actrice québécoise, parce que c'est très rare. C'était la première fois pour moi que j'étais invitée au sein même d'une équipe française, et ce, même si j'ai déjà joué en France avec Robert Lepage et avec le TNM, entre autres. C'est séduisant, pour une comédienne. L'équipe avec laquelle on a travaillé nous a accueilli MARIE-FRANCE LAMBERT et moi à bras ouverts dès notre arrivée. Ce n'est pas négligeable. Imagine si on était arrivées et qu'il y avait eu des doutes. Ou si on nous avait regardées de haut. Non, nous sommes arrivées et tout de suite nous
faisions partie de la troupe.
G.N.: Vous alliez aussi rejoindre une troupe de comédiens qui sont de grandes pointures.
A.M. C. :
Oui, j'y ai pensé beaucoup plus tard. Le groupe d'actrices dans SEXTETT est fort et c'est très agréable. Ce qui est particulier dans cette pièce-là, c'est que les actrices ne jouent pas ensemble. Chacune a une partie avec MICHA LESCOT, qui est comme un soliste au coeur d'un orchestre. Alors, pour moi, la rencontre des actrices est une rencontre humaine d'abord, et une aventure artistique de haute voltige. Seulement, si on a toutes défendu des rôles plus grands, l'expérience vient ici nous permettre de ne pas dérailler, ce qui est très important pour SEXTETT.
Je dois dire que RÉMI DE VOS a réussi le pari de donner à chacune quelque chose d'intéressant. Ça a dû être très difficile d'écrire un « premier rôle » pour cinq comédiennes! Chacune, à différents degrés, a quelque chose à défendre, un univers, un morceau qui se distingue des autres. Même en ayant un temps de scène qui n'est pas énorme, on a quand même des identités, quelque chose à jouer. Et c'est ce qu'on cherche dans le fond comme actrice.
Mon personnage de Claire a l'air de sortir d'on ne sait où avec son look d'actrice des années 60, un peu à la manière Demoiselle de Rochefort ou d'un film de Truffaut. Il y a aussi la poupée gonflable à la LYNCH, les lesbiennes gothiques, la chienne... Personne ne joue dans le même registre et je pense que c'est intéressant pour le public. Ensuite, la mise en scène d'ÉRIC VIGNER donne l'unité au spectacle. Tout est un peu décalé, musical, avec sa façon à lui de travailler les mots, la précision du geste, la précision dans le corps. ÉRIC a fait de la pièce un ballet théâtral.
Mon partenaire à moi est MICHA LESCOT. C'est un virtuose, un être inventif, d'une générosité, d'une délicatesse, d'un talent, d'une ambiguïté et d'une élégance extraordinaires. Il a une façon très particulière de jouer, sans jamais être narcissique. Je le regarde travailler avec son côté précis et très détendu en même temps. Comme lorsqu'il joue de dos. Il est à la fois un peu rebelle et irrévérencieux, tout en étant tout à fait galant. Il a une façon de jouer qui est très contemporaine, jeune, qui le rend très intéressant sur scène. C'est rare. Pour moi, c'est l'acteur qui a toutes les qualités. Je prends vraiment plaisir à jouer avec lui.
G.N.:
Quand j'ai lu la pièce, je trouvais que le personnage de Claire était celui avec le moins d'autonomie, non?
A.M. C. :
C'est quand même une fantasmagorie masculine : les femmes sont des projections du personnage de Simon, mais aussi de l'auteur et du metteur en scène. Claire m'intrigue, je ne la comprends pas encore. Mais je crois que c'est parce qu'ÉRIC nous pousse vers cette ambiguïté. Une journée, il me décrivait mon personnage comme étant naïf, virginal et vierge. Le lendemain, il était tout à coup lucide, intelligent et avait de l'expérience avec les hommes! Quand je joue Claire, je n'ai pas la même assurance que j'ai eue avec d'autres personnages, car c'est le genre de personnage qui évolue toujours. Dans le travail d'ÉRIC VIGNER, tu es toujours sur la corde raide, jamais dans le confort total. J'aime beaucoup la longue scène avec Micha, on est comme deux enfants qui jouent. Et puis, si dans le texte Simon repousse mon personnage, ÉRIC VIGNER a ajouté une dimension à la pièce en le faisant aussi me désirer. J'ai trouvé ça intéressant, le fait que Simon soit attiré tout en ayant peur. Cela rend la relation plus riche. Là, c'est un ballet entre les deux. Le choix d'ÉRIC est tout de même qu'il va vers elle à la fin.
G.N.:
Maria nous disait qu'elle trouvait ce texte extrêmement honnête dans sa manière de traiter le thème de la peur des femmes...
A.M. C. :
La peur des femmes se trouve manifestement au coeur du texte. La relation avec la mère dans la pièce est presque incestueuse. Il y a aussi l'homosexualité qui est au coeur de la pièce, l'ambiguïté, toute cette orientation sexuelle qui est contemporaine aussi, qui est différente chez les jeunes, qui montre une ambivalence, quelque chose de notre époque. Dès que Simon arrive pour entrer dans la chambre de sa mère, il a très peur. De sa sexualité. Finalement, la chienne, qui pour moi représente la sexualité et qui est jouée magnifiquement par MARIE-FRANCE LAMBERT, c'est la trouvaille de la pièce. Elle amène les notions d'interdit, de véritable transgression. C'est avec la chienne que Simon va faire l'amour. La transgression est présente dans toute la pièce. Je trouve aussi très intéressant le choix de mise en scène qui fait qu'on ne sait pas si le personnage de la pute est un homme ou une femme.
C'est une pièce sans complexe. Il n'y a pas de jugement moral, même si on sent la vision de deux hommes sur ces femmes-là et sur le personnage masculin. L'oeuvre est vraiment signée par ces créateurs. Ce n'est pas une pièce habituelle. ÉRIC a pris des risques, il a eu du culot. Il a eu le courage de faire ce qu'il a fait. Et le défi pour les acteurs est alors de trouver le ton. Il y a un ton DE VOS, il y a un ton VIGNER et il nous faut naviguer là-dedans.
G.N.:
De retour au pays et à quelques jours de la première montréalaise, que ramènes-tu de cette expérience?
A.M. C. :
C'est une aventure incroyable. Ma plus grande découverte a été celle de l'ouverture de tous ces êtres qui sont là sur scène. L'ouverture d'esprit, au-delà de la scène. Excuse-moi, là ça devient émotif, parce que c'est très important pour moi. Ce sont tous des gens tendus vers l'Autre, ouverts à l'Autre et attentifs à l'Autre. C'est beau ça. Et ce n'est pas donné à tout le monde. Il y avait un réel intérêt à l'endroit de l'Autre, de l'artiste, de la personne. C'est ce qui a été important pour moi dans toute cette aventure : la générosité et l'ouverture de ces actrices, de cet acteur, de tous ces artistes de la création que j'ai rencontrés. Ça m'a beaucoup touchée.
Je voudrais dire que la musique d'Othello Vilgard est une autre chose qui est très importante dans la pièce. Elle est toujours là, cette musique, et elle contribue au premier plan à l'unité du spectacle. Chaque personnage a son thème musical, avec des emprunts à d'autres musiques existantes. Comme on répétait avec la musique, je crois que celle-ci a donné un ton incroyable à la pièce.
G.N.:
C'est très juste. SEXTETT est une pièce pour un acteur et six actrices : cinq femmes et la musique!
Extrait du dossier public · Espace Go, Montréal