LES BELLES ENDORMIES DU BORD DE SCÈNE
Présentation
Il s'agirait de douze sœurs jeunes et belles, toutes sœurs, natives d'une basse et rude province, toutes atteintes de mélancolie comme par atavisme familial.
Douze sœurs irréductiblement mélancoliques
- comme on dirait: une famille d'irréductibles mélancoliques
- comme on dit: un village d'irréductibles gaulois.
Douze forces vives, douze jeunesses retenues et inexploitées
- comme on dit: les belles de nuit.
Douze filles en exil d'elles-mêmes, des fleurs.
Douze belles mélancoliques.
Elles sont noiraudes bien sûr, sombres bien sûr et bien sûr l'intérieur de leurs cuisses a la douceur incomparée de deux ailes d'oiseaux se frottant l'une contre l'autre.
Elles donnent l'amour comme on donne de l'eau, à nul autre pareil.
On les appelle les douze mélancoliques.
- comme on dit: ma douce mélancolie ou mon âme, ma chère âme, ou les douze sœurs
- comme on dit: les douceurs.
Tous les jeunes hommes en sont fous, de leur nombre et de leur beauté. Ils s'approchent, elles ne sont pas farouches, oh là là, loin de là, si vous saviez, si vous saviez seulement.
Ils sont atteints rapidement et, n'ayant pas l'habitude de la mélancolie, meurent très vite. On les retrouve généralement au matin, couchés dans un labour, le visage paisible. Les jeunes filles ne sont pas inquiétées, elles ne sont pas responsables. Comme ne le sont pas les sirènes, comme dans la légende.
On dit qu'elles se sont noyées une à une, mois après mois, dans un lavoir ombragé
- comme on dirait pour sauver les hommes.
On dit que dans cet arrière-pays
- comme on dit: une arrière-cour.
On ne dit plus janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre mais Alea, Enora, Melle, Klervie, Lénor, Lavéna, Nolwen, Onnen, Almeda, Karel, Lénaig et Sève.
On dit aussi que du caveau de famille, où elles se sont réunies mois après mois, la pierre, à embrasser, est douce comme une joue.
ÉRIC RUF, septembre 1998
Extrait du parcours
Générique & production
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