Les répétitions 1 · Stéphanie Cohen · BRANCUSI CONTRE ÉTATS-UNIS

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Document de répétitions

Les répétitions.

STÉPHANIE COHEN

Les passages entre guillemets sont des extraits du texte de la pièce; ceux en italiques sont des informations inspirées d'ÉRIC VIGNER.

"Il y en a qui font de la peinture abstraite. Là, ce n'est pas le cas. C'est de la sculpture personnelle."
MIRTO a deux cochons sur un Tee-shirt bleu. Elle ne ressemble pas à une vache. Elle a les cheveux noirs, bouclés, voluptueux. Elle mange des pommes et du slim-fast. Son visage est celui d'un hibou. Elle hulule dans la nuit. Mais il fait jour pour l'oiseau aux yeux qui tournent.
Elle a un pantalon de salopette sans le haut et d'énormes tennis qui tiennent seules à la branche. Sa démarche se noie et elle avance avec un bruit d'étoffe, les fesses devinées. Elle sourit peu mais pousse des fous rire qui éclatent dans les bois. Il fait froid, elle enfile un énorme sweat-shirt gris, sa pelure d'hiver.

Il n'est pas question de L'ARTISTE, mais d'une série de questions sans réponse. C'est le jeu de la vérité. Un artiste seul n'est rien, il doit faire partie du monde. MOLIÈRE s'exprimait sur la cour de LOUIS XIV, Pour faire passer quelque chose, il faut le pouvoir. Les premières parties des témoignages posent les règles. Dans LE MISANTHROPE, Philinthe et Alceste permettent au Misanthrope d'exister. On dépasse la représentation pour élaborer quelque chose ensemble.

Donatien retourne la cassette.

L'Art est dans l'incompréhension. DURAS écrivait quand la question se posait. Moins elle pouvait y répondre, plus elle s'enfonçait dans l'oeuvre.

Xavier (l'homme du son) inonde la salle de bruits d'aéroport.

Le sentiment sort du sens. C'est impossible de donner l'idée du vol. L'Utopie. Comment rendre compte de quelque chose qu'on ne peut atteindre? C'est intime. Tout est dans le plaisir du jeu.

Après le dîner, la digestion est difficile. Arthur veut avancer sur du juste et s'arrêter, autrement. Il est transformé en Spot par MIRTO. C'est magique comme l'aube d'une journée humide. Tous les acteurs veulent dormir. Peut-être à cause du match France- Tchequoslovaquie. Tout à coup, il pleut. On passe facilement de Margaret Thatcher à Jacques Chirac. C'est le procès d'un ARTISTE avec témoins, avocats, Juge, Procureur et Avocat de la défense qui vont juger la PIÈCE.

"Ouelle serait votre définition de l'Art?"

ÉRIC dit à MIRTO de se chauffer. Ça la fait rire. Elle ne sait pas ce que ça veut dire. Il y a une voix d'hôtesse de l'air et c'est l'excitation du départ. MIRTO se dore au soleil,

En regardant PIERRE, je pense au Paon du Parc. Il y a un petit jardin anglais où les allées serpentent au milieu des parterres de fleurs. Au détour d'un chemin, la cage se tient là. Et le gris qui l'orne ne laisse pas deviner au premier regard, la bête perdue. Personne n'arrive là par hasard. PIERRE le sait. Il s'approche de la grille et déploie sa queue.

Odile est l'oie... Qui garde un œil sévère sur sa portée.

(Comme au hammam, les journées ont un sexe, un jour les femmes, l'autre les hommes. Et dans la chaleur, la vapeur, les corps sont beaux et prennent soin d'eux-mêmes. Quand ils sont dépouillés de leur mauvaise graisse, ils reprennent leurs habits de ville et partent détendus dans l'angoisse de la rue.)

LAURENT jalonne l'aire de répétition. Il se plait au bruit des flashes. Ça l'éloigne de ses complexes et transforme son isolement en curiosité internationale.

(Si on déplace le sujet de la sculpture au théâtre, l'idée est de faire une pièce immatérielle.)

Philippe a mis un short blanc avec des grosses chaussettes dans les chaussures de marche comme un louveteau avec qui on ne risque pas le détournement de mineur, en plein coeur de la justice.

"La copie est conforme à l'original". Vincent ou EDWARD STEICHEN a le teint très blanc, une façon de parler particulière comme s'il allait zozoter mais sa voix mûre raisonne. Sa bouche aux lèvres fines est comme une vierge qui n'attend pas. Ses mouvements sont saccades. Il a constamment un sourire sur la bouche à cause de petits rigoles à la terminaison des lèvres, posées là de façon perpendiculaire. Il parle à MIRTO l'Avocat de la défense dans sa robe rose à feuillages et à fleurs. Il identifie la PIÈCE comme authentique.

Odile LE JUGE, sur son perchoir a accumulé cannettes, bouteilles et chewing-gum en vue de l'éternité du procès.

HIGGINBO'I'HAM arrive avec les lèvres qui rentrent. Sa moustache dans le creuset va du nez à la bouche. Il a un corps de Batman miniature. Sur son Tee-shirt, il y a des smarties. Il parle plus fort que les machines et prend la voix d'ARLETTE LAGUILLER.

Le début devrait étre quelque chose comme l'amour de l'art, du théâtre, de ce qu'on fait, quelque chose comme deux conceptions fortes; opposées mais les mêmes. Il faut garder les textes pour continuer à travailler avec les gens. L'acteur est beau qui pose la brochure pour jouer. C'est vain comme le plaisir intense d'exister, Les acteurs sont ensemble et prennent le prétexte des lois pour commencer, faire quelque chose. Ils ont du mal à se mettre d'accord alors ils cherchent.

Le chantier est en branle. Les ouvriers déplacent les parpins. Il est question de fermer la verrière, d'emprisonner les oiseaux. Le bruit continue. On entend les moteurs. Je vois la grue.

DONATIEN amène les éléments techniques qui vont permettre de construire une nouvelle histoire. On n'est pas dans l'idée générale de l'Art, Il y a une différence entre soi et le personnage. Ce dernier s'élabore à partir de la jubilation d'être acteur.

VINCENT explique au PROCUREUR que s'il a choisi cette PIÈCE, ce n'est ni parce que c'est un oiseau, ni parce qu'il est commerçant, ni parce que L'ARTISTE est un ami est très proche, ni parce qu'elle est une oeuvre originale.

L'hôtesse de l'air se met dans la peau du rédacteur en chef de la revue The Arts. Sous pression, elle se soumet au rôle. Le nœud de son témoignage consiste en preuves tangibles alors qu'elle invente les références dans l'espace.

(Deux personnes se parlent dans le creux de l'oreille. La curiosité est forte comme l'essence du monde, Un. bruit de voix dont l'unique pénètre mon entendement. Je sens ma colonne vertébrale, le long couloir et les escaliers comme des veines venues la sustenter. Les hommes sont des microbes à tuer pour lesquels la vie fabrique. Il y a une tonne de plomb accrochée aux ailes peut-être à cause de la proximité de l'aéroport.)

Les acteurs se perdent sans BOITE. Plus ça avance, moins il y a de repère. Au delà du jeu, c'est la maturation plus que le fruit d'un hasard heureux.

ALICE sort des merveilles. Son hôtesse avance dans l'allée comme une citrouille en mal de verbe. Elle est pleine de joie hermétique. Elle est maigre et sa tête ronde fait pencher le corps, vivace. Elle a des diamants aux oreilles et elle hurle en les retirant, le soir. Le matin, elle les remet. Elle s'habille noir. Elle ne veut pas risquer de dépuceler le costume fait pour elle. On lui a transformée la natte qu'elle avait jusqu'aux pieds, en queue grise.

(Les costumes donnent envie de peau nue.)

Si le point de vue n'est pas affirmé dès le début, la question ne se pose plus et devient hermétique.

Le juge WAITE ne répond pas à l'annonce de son arrivée. Sur sa carte d'identité est inscrit ODILE BOUJARD,

Maitre LANE l'avocat de la défense, est une princesse grecque venue à Paris incognito. Ici, elle peut mettre des tee-shirt moulants et aime l'été à cause de l'arrivée des mac-summer qui ne valent pas ceux du Wendy . Elle défend l'ARTISTE plus pour la pari que pour la cause. Elle a des étoiles filantes aux pieds et sa tête carbure â la vitesse de la coke.

Comme dans le hall d'un aéroport des manoeuvres déchargent LA BOITE, la scindent en deux et laissent échapper LA PIECE. L'ARTISTE a dirigé sa fonte mais ne l'a pas supervisée.

Il faut laisser échapper la question pour se laisser à douceur, au çalme et au chant des oiseaux.

Les acteurs se sentent brimés de ne pas jouer, de ne pas être empéchés. Personne ne veut partir retenu par l'incompréhension et tendu. Chacun s'exprime avec force en éliminant toute caricature.

HIGGINBOTHAM s'est transformé en pingouin qui mâche du chewing- gum. Il a subi dans la nuit une transformation, Il ne voulait pas venir au procès mais sa femme l'a forcé.

Le Juge WAITE a le pantalon tellement plein de poussière que quand il le pince, s'échappe un nuage,

Le Procureur a envie de gifler Maître LANE parce qu'elle le piège. Il a beau faire attention, la garce sait y faire.

(La pensée organise l'espace. La pièce se construit dans l'imaginaire.)

HIGGINSOTHAM s'intéresse à l'art. Sa mission pour le compte du gouvernement, est d'identifier LA PIECE comme un ojet manufacturé,.

Deux témoins ont eu une discussion sur l'Art à la charcuterie. "L'un" a dit que ce qui était actuellement exposé au Musée du Jeu de Paume (la sculpture contemporaine anglaise) n'était pas de l'Art; et notamment, un petit tas de sable jaune avec un creux à son sommet et une étiquette. Il riait en racontant ça à "l'autre".

SOPHIE (l'assistante) est chargée de mettre du vent avec des chants d'oiseaux, l'éclair et des flashes. Elle devra aussi déchirer le ciel, suivant les indications d'ÉRIC.
Les acteurs sont encerclés au milieu de l'espace vide. Ils ont leur nid dans cette usine désaffectée avec des caisses dans un coin. LA BOITE défaite est aux deux extrémités de la piece. Un escalier monte à l'étage qui ne casse pas la hauteur.

HIGGINBOTHAM essaie de définir le travail de L'ARTISTE. Poser la question, c'est définir quelque chose.

"Ca donne la sensation du vol". Maître LANE dit que l'Art est plus une sensation qu'une représentation.

Dire que ce n'est pas une œuvre d'art,c'est dire que ça n'existe pas.

Les acteurs se posent les questions entre eux.

Le rapport qui se crée n'est pas seulement un rapport de jeu.

La question doit ressortir. Chacun choisit celle qu'il s'est posée à la place de l'autre.
(Au plus près de la création, il n'y a plus de rôle, il faut tout redéfinir. La mise en scène laisse échapper le besoin.)

Michel-Ange sculptait la matière et confiait à ses assistants.le soin d'en faire des copies. Là, l'original est un point de départ; les copies, des étapes; le travail en cours, une représentation.

Quand vient le moment pour l'ARTISTE de témoigner, les questions sont posées d'un bloc: les seules lors du procès, à ne pas être induites par les réponses précédentes. Leur ordre ne suit pas le fil d'une pensée. Elles sont des preuves concrètes. Les pensées tournent autour comme des piaillements ou des nuages qui passent.

HIGGINBOTHAM essaie avec "son" premier Témoin "cité à comparaître" de s'attaquer à l'essence même du travail de L'ARTISTE.
 

Il y a la force de la passion.

Par honneteté, ce Témoin vient preter serment et être la voix de son pays pour exprimer haut et fort que cette PIÈCE n'est "pas une œuvre d'art". Sa fierté cache un manque absolu de confiance en soi. Alors il cherche des repères, des solides prises auxquelles se raccrocher, des valeurs sûres. Maître LANE connait ce genre d'homme. Elle sait comment le rendre vulnérable, le pieger.

(Un critique parle du rapport de L'ARTISTE aven la matière en termes éminemment sensuels.)

Le Témoin est grignoté peu à peu. Il est poussé à mentir bien qu'il ait juré, ol a des prises de position très fortes en regard de ses convictions inébranlables.

La peur mène ce témoignage.

Un dernier Témoin va dans le sens de ce qui lui est proposé. C'est un tout jeune homme. Son innocence raisonne comme une comptine terrifiante.

On passe sa vie à faire du théâtre, c'est la tragédie de l'homme,

On revient à l'idée du pouvoir.

Savoir si telle ou telle chose est une œuvre d'art n'est qu'une question d'opinion, la seule manière pour un artiste cl'affirmer son point de vue est d'avoir du povoir, le pouvoir de la faire.

Tout devient irréel. Comme si la recherche avait. été épurée en attente de tout le folklore de la représentation. L'espace de la Salle du Conclave est dur. Autant sa découverte a été magique, autant sa possession est pénible. Les sièges étouffent les voix, absorbent les gens. Alors que la technique par un effet dévastateur, prend un effet déroutant. Toute la machinerie attend le signal pour déclencher sa spirale infernale. Il y a un "combat" à mener avec la puissance. Tout s'imbrique. C'est une salle mouvante. Elle a la rigueur de l'institution. On sssiste à l'absurdité d'un procès fait à Dieu. C'est la suite de L'ILLUSION COMIQUE, ce père qui retrouve son fils au travers du théâtre. Duras écrit la naissance, l'écriture de l'homme. Sa conception reste inexpliquée. C'est la question de L'ARTISTE.

MIRTO avec son HF s'est transformée en James bond Girl. Elle l'a allumé et tant pis si ça explose. Maitre LANE prend les témoins en main. El le leur indique leurs places et se lève à l'appel du rossignol.

Jouer la situation. Si on met plusieurs artistes dans une même pièce, chacun va penser des choses différentes. Avant de Passer à la reconnaissance, il y a la création d'une pensée ensemble sans accusé. Il n'y a pas de rapport psychologique entre les deux.

"Ça ne donne pas le sentiment du beau".

Ce n'est pas une idée abstraite, ça engage tout le corps. Il y a quelqu' un qui défend un système et l'autre, un autre. Après, ça prend la forme.

Arthur pique, a l'esprit vif, ses muscles sont efficaces. Il a établi sa stratégie, depuis longtemps... Être au plus près de soi et de sa raison d'être. Maître LAINE a évolué vers MIRTO,

"Les objections pour immatérialité produisent une théatralité immédiate. Il faudrait s'entendre sur le mot, la puissance, et ce que les oiseaux construisent à travers elle. Chaque objection a une nature, une forme et une intensité. Dans "objection", il a déjà la surprise absolue du "Oh" , dit ÉRIC VIGNER.

Le public entre à 16H30. Les oiseaux circulent dans les couloirs. Il y a des portants pour poser leurs queue de pie s'ils veulent s'asseoir. Tout est lié au lieu. Dans la salle, au fond deux blocs bleus d'où partent deux antennes très hautes donnent l'idée de la vie des insectes. C'est clair, les éclairs; des flashes arrêtent les acteurs dans leur course et figent leur image.

Maitre LANE a les gestes maladroits d'un enfant jouant à l'avocat. On dirait des figures de carte à jouer. ARTHUR ressemble à un roi de trèfle. Ces personnages qui hantent les rêves angoissants, et tournent sur eux-mêmes en changeant de face. L'As de pique parle de plusieurs versions de l'oiseau en pénétrant simultanément dans des halos de lumière. Apparaissant, disparaissant au rythme de sa marche. On plonge dans un pays imaginaire. Le valet de carreau perd la mémoire. LA PIÈCE n'est pas finie.

"Je n'avais pas fait l'amour, mais je l'avais soumise à un long interrogatoire avec une curiosité insatiable.(...)
Comme je le lui avais dit, je l'avais interrogée surtout pour savoir pourquoi je l'interrogeais; cela semblait une plaisanterie, mais ce n'en était pas une. J'avais ainsi appris beaucoup de choses, mais, à mon insatisfaction, je croyais comprendre que ce qui m'importait le plus m'avait échappé." ALBERTO MORAVIA

Identité du doc

Sujet: 
Les répétitions de Brancusi, un texte de Stéphanie Cohen
Datum: 
1996
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CDDB, Éric Vigner