Les répétitions.
STÉPHANIE COHEN
1. Le texte dit: "-Il y en a qui font de la peinture abstraite. Là, ce n'est pas le cas. C'est de la sculpture personnelle." Je remarque que Mirto a deux cochons sur un Tee-shirt bleu. Elle ne ressemble pas à une vache. Elle a les cheveux noirs, bouclés, voluptueux. Elle mange des pommes et du slim-fast. Son visage est celui d'un hibou. Elle hulule dans la nuit. Mais il fait jour pour l'oiseau aux yeux qui tournent. Elle a un pantalon de salopette sans le haut et d'énormes tennis qui tiennent seules à la branche. Sa démarche se noie et elle avance avec un bruit d'étoffe, les fesses devinées. Elle sourit peu mais pousse des fous rire qui éclatent dans les bois. Il fait froid, elle enfile un énorme sweat-shirt gris, sa pelure d'hiver. Un jeune homme arrive avec un shampoing à la pivoine.
2. Eric vigner explique qu'"il n'est pas question de placer l'Art au dessus de la raison. Les premières parties des témoignages posent des règles qui permettent de dépasser la représentation pour élaborer quelque chose ensemble". Donatien retourne la cassette. "Duras écrivait quand la question se posait. Moins elle pouvait y répondre, plus elle s'enfonçait dans son oeuvre". Xavier, le jeune homme au shampoing les inonde de bruits d'aéroport.
3. "-C'est impossible de donner l'idée de l'Utopie. Tout est dans le plaisir du jeu". Après le dîner, la digestion est difficile. Arthur appelé Batman est transformé en Spok par la fée. Tout les acteurs veulent dormir. Peut-être à cause du match France- Tchèquoslovaquie. Tout à coup, il pleut. On passe facilement de Margaret Thatcher à Jacques Chirac. Eric dit à Mirto de se chauffer. Ça la fait rire. Elle ne sait pas ce que ça veut dire. Il y a une voix d'hôtesse de l'air et c'est l'excitation du départ. Mirto se dore au soleil.
4. En regardant Pierre, je pense au Paon du Parc. Il y a un petit jardin anglais où les allées serpentent au milieu des parterres. Au détour d'un chemin, la cage au fond d'une clairière déserte se tient là. Et le gris qui l'orne ne laisse pas deviner au premier regard, la bête perdue. Personne n'arrive là par hasard. Pierre le sait. Il s'approche de la grille et déploie sa queue.
5. Comme au hammam, les journées ont un sexe, un jour les femmes, l'autre les hommes. Et dans la chaleur, la vapeur, les corps sont beaux et prennent soin d'eux-mêmes. Quand ils sont dépouillés de leur mauvaise graisse, ils reprennent leurs habits de ville et partent détendus dans l'angoisse de la rue.
6. Un pélican jalonne l'endroit. Il s'appelle Laurent, est là depuis toujours et se plaît au bruit des flashes qui l'éloignent de ses complexes et transforment son isolement, en curiosité internationale. Les uniformes donnent envie de peau nue. Philippe a mis un short blanc avec des grosses chaussettes dans les chaussures de marche comme un louveteau avec qui on ne risque pas le détournement de mineur. En plein coeur de la justice.
7. EDWARD STEICHEN affirme: "-La copie est conforme à l'original". Vincent a fait la déposition suivante. Il a le teint très blanc, une façon de parler particulière comme s'il allait zozoter. Il se ronge un peu les ongles. Il a les cheveux châtains et brillants. Sa bouche aux lèvres fines est comme une vierge qui n'attend pas. Ses mouvements sont saccadés. Il a constamment un sourire à cause de petits rigoles à la terminaison des lèvres, posées là de façon perpendiculaire. Il parle à la fée dans sa robe rose à feuillages. Il a de très longs bras qu'il pose le long du corps. Ses mains entourent les cuisses et ses doigts y suffisent. Son front plisse sous la pression de l'émotion.
8. Odile ou Juge Waite, sur son perchoir, a accumulé cannettes, bouteilles et chewing-gum.
9. Arthur appelé Batman a les lèvres qui rentrent. Sa moustache dans le creuset va du nez à la bouche. Il a un corps d'athlète miniature. D'ailleurs, sur son Tee-shirt, il y a des smarties. Son bec est bombé comme celui d'un canari. Il parle plus fort que les machines et prend la voix d'Arlette Laguiller.
10. Pour le metteur en scène, "il faut garder les brochures pour continuer à travailler avec les gens. L'acteur est beau qui pose son texte pour jouer. C'est vain comme le plaisir intense d'exister. Les hommes sont ensemble et prennent le prétexte des lois pour commencer. Ils ont du mal à se mettre d'accord alors ils cherchent". Le chantier est en branle. Les ouvriers déplacent les parpins. Il est question de fermer la verrière. Le bruit continue. On entend les moteurs. Je vois la grue.
11. La mise en scène continue: "-le personnage s'élabore à partir de la jubilation d'être acteur". Deux personnes se parlent dans le creux de l'oreille. La curiosité est forte comme l'essence du monde. Un bruit de voix pénètre l'entendement. Je sens ma colonne vertébrale, le long couloir et les escaliers comme des veines venues la sustenter. Les hommes sont des microbes à tuer pour lesquels la vie fabrique. Il y a une tonne de plomb accrochée aux ailes peut-être à cause de la proximité de l'aéroport.
12. Alice WATSON sort des merveilles. Son hôtesse avance dans l'allée comme une citrouille en mal de verbe. Elle est pleine de joie hermétique. Elle est maigre et sa tête ronde fait pencher le corps, vivace. Elle a des diamants aux oreilles et elle hurle en les retirant, le soir. Le matin, elle les remet. Elle s'habille noir. Elle ne veut pas risquer de dépuceler le costume fait pour elle. On lui a transformé la natte qu'elle avait jusqu'aux pieds, en queue grise.
13. Arthur appelé Batman HIGGINBOTHAM a les idées affûtées, passe son temps dans les musées heureux que le Louvre soit enfin pluralisé. Il y va le dimanche avec femme et enfants. Il en a cinq. Il aime Dieu, a un Mont-Blanc. Ses parents sont boulangers. Déjà enfant, il avait les poches pleines. De bonbons. Il y est arrivé par acharnement.
14. Éric: "-Si le point de vue n'est pas affirmé dès le début, la question ne se pose plus et devient hermétique".
15. Le juge WAITE, Président ne répond pas à l'annonce de son arrivée. Sur sa carte d'identité est inscrit Odile Boujeard. Mirto Procopiù l'avocat de la défense est une princesse grecque venue à Paris incognito. Ici, elle peut mettre des tee-shirt moulants et aime l'été à cause de l'arrivée des mac-summer qui ne valent pourtant pas ceux de Wendy . Elle défend son client plus pour le pari que pour la cause. Elle a des étoiles filantes aux pieds et sa tête carbure à la vitesse de la coke. Le directeur du musée FOX la dessine consciencieusement. Il a acheté un chevalet cent francs au gardien à sept enfants. Comme il se déplace en moto, il s'est fait escorter par EPSTEIN qui se fait généralement conduire par son copain AÏTKEN. Ce soir-là, EPSTEIN a dû s'allonger sous le chevalet. Heureusement, il y avait les genoux de quelques femmes qui traînaient là. EPSTEIN aime beaucoup les femmes. Il leur offre des madeleines et boit dans leur gobelet. FOX, le lendemain, a acheté une raquette. Mais EPSTEIN lui a dit d'arrêter de se prendre pour Chang et lui a claqué la porte au nez.
16. Dans le hall d'un aéroport, des manoeuvres déchargent une grosse caisse et la scindent en deux.
17. La question est posée aux témoins cités à comparaître à propos de la Pièce à conviction N°1 (PACN°1), objet du litige: "- Est-ce une oeuvre d'art?" STEICHEN a la conviction que la PACN°1 est l'aboutissement d'une série qui ressemblait beaucoup plus au début à un oiseau. Pour EPSTEIN, un ouvrier ne peut pas concevoir les lignes particulières qui donnent la beauté unique de la PACN°1. Alice WATSON éprouve en regardant la PACN°1 un plaisir qui vient de son équilibre et de sa forme. FOX ne peut imaginer aucune fonction utilitaire à la PACN°1. La PACN°1 ne provoque pas pour AÏTKEN, de réaction émotionnelle inhabituelle qui stimulerait le sens esthétique, le sens du beau.
18. Le juge WAITE ou Odile Bougeard a le pantalon tellement plein de poussière que quand il le pince, s'échappe un nuage. La pensée organise l'espace. La pièce se construit dans l'imaginaire.
19. Il y a eu une discussion sur l'art à la charcuterie et EPSTEIN a dit que ce qui était actuellement exposé au Musée du Jeu de Paume (la sculpture contemporaine anglaise) n'était pas de l'art. Et notamment, un petit tas de sable jaune avec un creux à son sommet et une étiquette. Il riait en racontant ça à l'hôtesse de l'air.
20. Les acteurs sont en cercle au milieu de l'espace vide. Ils ont fait leur nid dans cette usine désaffectée avec des caisses dans un coin. La boite défaite est aux deux extrémités de la pièce. Éric explique que dire que ce n'est pas une oeuvre d'art, c'est dire que ça n'existe pas.
21. Le rapport qui se créé désormais, du point de vue du metteur en scène, n'est plus seulement un rapport de jeu. Chacun peut choisir les questions qu'il va poser en fonction de sa propre nécessité. Au plus près de la création, il n'y a plus de rôle, il faut tout redéfinir.
22. La PACN°1 pourrait être un porte-parapluies. La fierté de AÏTKEN cache un manque absolu de confiance en soi. Alors il cherche des repères, des solides prises auxquelles se raccrocher, des valeurs sûres. L'Avocat de la Défense connait ce genre d'homme. AÏTKEN est grignoté peu à peu. Il est poussé à mentir bien qu'il ait juré, il a des prises de position très fortes en regard de ses convictions inébranlables. La peur le mène. Philippe dans Maître Speiser réussit à faire admettre à AÏTKEN qu'il rejette plus l'école moderne que la PACN°1. Philippe dans JONES est un jeune homme. Ce n'est donc plus un conflit de génération. Son innocence raisonne comme une comptine terrifiante.
23. "Si la PACN°1 était transformée, pourrait-elle être considérée comme une oeuvre d'art ?". Pour Éric Vigner, "on passe sa vie à faire du théâtre, c'est la tragédie de l'homme". On revient à l'idée du pouvoir. Savoir si telle ou telle chose est une oeuvre d'art n'est qu'une question d'opinion, la seule manière pour un artiste d'affirmer son point de vue est le pouvoir de la faire.
24. Tout devient irréel. Comme si la recherche avait été épurée en attente du folklore de la représentation. L'espace de la Salle du Conclave est dur. Autant sa découverte a été magique, autant sa possession est pénible. Les sièges étouffent les voix, absorbent les gens. Alors que la technique par un effet dévastateur, prend un effet déroutant. Toute la machinerie attend le signal pour déclencher sa spirale infernale. Il y a un "combat" à mener avec la puissance. Tout s'imbrique. C'est une salle mouvante. Elle a la rigueur de l'institution.
25. On assiste à l'absurdité d'un procès fait à Dieu. C'est la suite de "L'Illusion comique" et d'une histoire de paternité. Maintenant il est question de reconnaissance... Avec Duras, c'était la naissance de l'homme comme cette création expliquée dans la Bible, par l'écriture. La conception seule reste mystérieuse. Juger la création, c'est faire un procès vain. Mirto avec son HF s'est transformée en James bond Girl. Elle l'a allumé et tant pis si ça explose. Maître SPEISER laisse tomber ses mots comme des effets de style. Maître LANE prend les témoins en main. Il leur indique leurs places et se lève à l'appel du rossignol.
26. Éric Vigner dit: "- Il faut jouer la situation. Si on met plusieurs artistes dans une même pièce, chacun va penser des choses différentes. Avant de passer à la reconnaissance, il y a la création d'une pensée ensemble sans accusé. Il n'y a pas de rapport psychologique entre les deux".
27. Pour le dernier témoin: "- la PACN°1 ne donne pas le sentiment du beau". Éric indique: "- ce n'est pas une idée abstraite, ça engage tout le corps. Il y a quelqu'un qui défend un système et l'autre, un autre. Après, ça prend la forme". Arthur pique, a l'esprit vif, ses muscles sont efficaces. Il a établi sa stratégie, depuis longtemps... Être au plus près de soi et de sa raison d'être. AÏTKEN a beaucoup vieilli. Maître LANE a évolué vers MIRTO.
28. "Les objections pour immatérialité produisent une théâtralité immédiate. Il faut entendre sur le mot, la puissance, et ce que les hommes construisent à travers elle. Chaque objection a une nature, une forme et une intensité. Dans "objection", il y a déjà la surprise absolue du "Oh" (Éric Vigner).
29. Le public entre à 16H30. Les acteurs circulent dans les couloirs. Il y a des portants pour poser leurs queue de pie s'ils veulent s'asseoir. Tout est lié au lieu ; dans la salle, au fond deux blocs bleus d'où partent deux antennes très hautes. La vie des insectes. Maître LANE a les gestes maladroits d'un enfant jouant à l'avocat. On dirait des figures de carte à jouer. Ces personnages qui hantent les rêves angoissants. Et tournent sur eux-mêmes en changeant de face. L'as de pique parle de plusieurs versions de l'oiseau en pénétrant simultanément dans des halos de lumière. Apparaissant, disparaissant au rythme de sa marche. Le valet de carreau continue à se faire. Alice le roi de coeur jouit en direct. C'est le jeu du plaisir. Par un mystérieux charme, le jugement de l'Art est rendu absurde.