Renaissance du cinéma contemporain britannique · Philippe PILARD
in Le nouveau cinéma britannique 1979.1988
"Le grand sujet de la pérode que nous vivons, déclare Stephen Frears, le metteur en scène de L aundrette, c'est précisém ent le déclin de notre pay s : la chute de l'Em pire britannique ! A v ec toutes les violences, les injustices qui en résultent !... Cela frappe l'imagination du monde entier ! Les créateurs s'en sont emparés et la plupart des films anglais d'aujourd'hui qui ont du succès ne traitent que de ça ...."1
Le succès national et international de Laundrette (et dans une moindre mesure de Letter to Brezhnev) a lancé un nouveau genre : la comédie sociale noire.
Le contexte : la Grande-Bretagne en crise, le chômage, les affrontements raciaux, l'arrogance des riches, l'impuissance rageuse des laissés pour compte. Le paysage : des terrains vagues, des zones industrielles abandonnées, des quartiers ouvriers lépreux.
Là où les "Jeunes Gens en colère" du Free Cinema auraient développé une protestation véhémente, leurs héritiers, un quart de siècle plus tard, se tirent d'affaire en ricanant. Pas d'idées générales, pas de message, pas d'idéologie : juste un éclat de rire bien grinçant.
"Ce que je veux, c'est écrire pour un cinéma terroriste !, affirme Hanif Kureishi. La haine du conformisme, la sexualité, la révolte, c'est cela qui m'intéresse ! Un auteur doit être terroriste, pas masseur !... Chez nous, le racisme pose de nombreux problèmes, c'est un sujet qui m'intéresse, mais je ne me veux pas porte-parole : je suis écrivain, je dis ce que j'ai à dire. Mon boulot, c'est de poser des questions, ce n'est déjà pas si mal .1..." Et il ajoute : "J'ai eu des propositions de Hollywood, mais je les ai refusées... Ce que je veux faire, ce sont des films bon marché, tournés rapidement, sur lesquels les auteurs puissent exercer leur contrôle de bout en bout..."
Durant la saison 1985-1986, deux films bouleversent les idées reçues en matière de succès cinématographique : My Beautijul Laundrette, et Letter to Brezhnev/Bons Baisers de Liverpool.
Ces deux films évoquent sans complaisance la situation d'une certaine Grande-Bretagne contemporaine : le premier à Londres, dans la communauté pakistanaise, avec son cortège de violence, de racisme et de délits divers ; le second à Liverpool, où sévit le chômage et l'ennui. Deux films à très petits budgets, tournés sans vedette, et traitant de sujets contemporains : exactement ce que vous refuse le producteur "qui connaît le public et sait qu'il veut des vedettes et du rêve, n'est-ce pas ?".
Tourné pour la télévision par un réalisateur très solide, Stephen Frears, sur le scénario de l'Anglo- Pakistanais Hanif Kureishi, Laundrette est remarqué au Festival du film d'Edimbourg et ce succès d'estime va lui permettre de courir sa chance dans une exploitation cinématographique. Quant à Letter to Brezhnev, scénario de Frank Clark mis en scène par Chris Bernard - eux aussi formés à la télévision - il se présente comme comédie, et avance l'idée, coinnie l'a écrit le critique Edward Behr : "qu'après tout, !a Russie n'est sans doute pas pire que les rives de la Mersey, pour ceux qui sont au bas de l'échelle sociale..."2. Et Edward Behr demande : "Quel patriotisme peut-on attendre pour un pays comme la Grande-Bretagne qui s'est montré si nettement incapable de résoudre ses difficultés sociales ? "3
En France, Laundrette fait une carrière honnête. Mais Letter ne trouve pas son public.
Derek Malcolm, critique cinématographique du quotidien The Guardian, et qui fut Directeur des programmes du London Film Festival de 1983 à 1986, remarque' : "Le succès de films tels que My Beautiful Laundrette et Letter to Brezhnev fait partie des raisons d'espérer : il prouve qu'un film britannique peut marcher dans son propre pays... Mais l'atmosphère générale reste chez nous peu favorable aux artistes originaux qui veulent faire des films. Ce que cherche notre industrice, ce sont de bons artisans : des gens qui sachent raconter une histoire "bien ficelée", à la manière du cinéma américain... Le succès de quelqu'un comme Peter Greenaway ne doit pas créer d'illusion : ses prernirs films n'ont été rendus possibles que par les subventions du British Film Institute, sur de tout petits budgets. Peut-être faudrait-il comparer Greenaway et Resnais ou Bresson, et encore !... Quelques cinéastes cherchent à sortir des sentiers battus : Greenaway donc, mais aussi des gens comme Derek Jarman ou Ken Mc Mullen. Ce n'est pas le genre de cinéma que David Puttnam produirait, je pense... Pour ces marginaux la situation est difficile, mais je crois que c'est la même chose dans le monde entier..."
1. Interview par Philippe Pilard
2.Cf. Newsweek, 25/11/1985
3. II existe pourtant : les "Skinheads" !