La querelle de L'Ecole des femmes · François Bourgeat · L'ÉCOLE DES FEMMES

La querelle de L'Ecole des femmes · François Bourgeat · L'ÉCOLE DES FEMMES
La querelle de L'ÉCOLE DES FEMMES
Dramaturgie
François Bourgeat
Langue: Français
Tous droits réservés

La querelle de L'ÉCOLE DES FEMMES · François Bourgeat

La querelle de L'ÉCOLE DES FEMMES va durer deux ans. Deux ans à se faire attaquer, moquer, insulter.

En 1662, MOLIÈRE a 40 ans. Comme Chaplin avec Charlot, il a créé avec Sganarelle un "type", un personnage fait d'emprunts multiples mais qui, de pièce en pièce, acquiert une véritable originalité. Public et gazettes louent en MOLIÈRE le plus grand bouffon que la France ait connu, plus grand que Scaramouche lui-même. Le jeune Louis XIV l'aime et le protège. Les Grands l'invitent chez eux. Il n'a pas encore écrit une seule de ses "grandes comédies" et déjà sa gloire d'acteur est immense.

En février 1662, il épouse Armande Béjart. Elle a 20 ans de moins que lui. C'est la soeur de Madeleine, sa première compagne, l'initiatrice, la fidèle des fidèles.
Durant quinze mois, il n'a offert aucune création à son public qui commence à se poser des questions. Et puis, le 26 décembre 1662, c'est la première de L'ÉCOLE DES FEMMES, un tournant dans la vie et l'oeuvre de MOLIÈRE.

Le succès est immédiat. MOLIÈRE vient d'écrire un chef d'oeuvre. Il a osé s'évader de l'univers mécanique de la farce. On ne lui pardonnera pas.

Ecoutons Boulgakov (dans Le Roman de Monsieur MOLIÈRE, de Mikhaïl Boulgakov - éd. Gérard Lebovici) :

"La pièce fut admirablement jouée par MOLIÈRE dans le rôle d'Arnolphe et par Brécourt qui se tailla un succès exceptionnel en interprétant le valet Alain. Toutes les manifestations auxquelles avait donné lieu la sortie des précédentes pièces de MOLIÈRE furent totalement éclipsées par celles qui suivirent la première de L'ÉCOLE DES FEMMES. Tout d'abord cette première débuta par un scandale. Un certain Plapisson, vieil habitué des salons parisiens, fut atteint jusqu'au fond de son être par le contenu de la pièce. Assis sur la scène, il tournait à chaque pointe ou jeu de scène son visage empourpré par la rage vers le parterre et criait :

- Ris donc, parterre! Ris!
    Et il montrait en même temps le poing aux spectateurs. Naturellement, son intervention porta à des sommets les rires du parterre.

La pièce plut beaucoup au public, et, à la deuxième représentation ainsi qu'aux suivantes, l'affluence fut telles que les recettes atteignirent le chiffre record de mille cinq cents livres par soirée".
 

Commence alors ce que l'on appellera "La querelle de L'ÉCOLE DES FEMMES".

Le triomphe de la pièce en est le premier prétexte. Il rend fous de jalousie les comédiens des autres troupes, en particulier les Grands Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, spécialistes de la tragédie, qui voient le public déserter leur théâtre pour courir au Palais-Royal. Ce sont eux qui lancent les premières flèches, relayées aussitôt par les salons à la mode. On n'admet pas que MOLIÈRE sorte des limites de la farce et brouille les frontières entre tragédie et comique. Peut-être aussi devine-t-on que le fils du tapissier, d'un coup, a dépassé tout le monde en s'aventurant, tel un funambule, sur le fil tendu entre comédie et tragédie.

Mais ce sont les thèmes même de L'ÉCOLE DES FEMMES qui vont surtout exciter la haine. Remettre en question le mariage bourgeois, fondé sur la "tout puissance" des mâles, est déjà imprudent. Beaucoup plus audacieux encore est de dire, et sans ambage, que le désir, l'amour, la sensualité sont choses naturelles comme est naturelle la revendication du plaisir.

"Voilà deux êtres, écrit Alfred Simon, métamorphosés, transfigurés, révélés à eux-mêmes par une expérience foudroyante. Arnolphe ne peut pas plus s'empêcher d'aimer Agnès que celle-ci Horace. L'amour passion enchaîne Arnolphe dans la jalousie mais libère Agnès..." ( MOLIÈRE, une vie, d'Alfred simon (Ed. La Manufacture)...

Propos qui rejoignent ceux de Marcel Maréchal : "Le geôlier a quitté la prison, l'espace d'un souffle, le gros matou noir s'est permis une courte cavale. Cela a suffit au "petit chat" pour mourir et à Agnès pour naître à la vie. Sublime morale de cette pièce -qualifiée d'"obscène" en son temps- qui, avant Freud, Foucault et les autres, veut croire que le désir est plus fort que la mort ". ( Préface de l'édition de L'ÉCOLE DES FEMMES au Livre de Poche).

L'ÉCOLE DES FEMMES : un hymne à l'amour-passion, à la liberté de l'amour. Il y avait en effet de quoi faire s'étrangler de rage tous les bien-pensants...

MOLIÈRE répond à sa façon, en artiste. Il donne coup sur coup deux chefs-d'oeuvre à son public et à ses ennemis : La Critique de L'ÉCOLE DES FEMMES et surtout L'Impromptu de Versailles, où il se met lui-même en scène et revendique de nouveau le droit au plaisir. Au plaisir du spectateur.

La "querelle" de L'ÉCOLE DES FEMMES est à peine achevée qu'éclate l'affaire Tartuffe. Puis Dom Juan... Le combat de MOLIÈRE a commencé. Il y laissera sa peau.